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J de J 5 / 5 – La Vie Douce 5

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amethyste vie douce  –  Jehan…

C’est un appel en murmure, presque inaudible, mais suffisant pour faire bondir vers la porte la silhouette brune  assise près de la fenêtre :

– Vite, quelqu’un, vite ! Elle a parlé

D’autres formes, blanches celles-là, (Des formes blanches) apparaissent et s’agitent dans un brouillard. Les formes parlent, avec trop de mots qui s’entrechoquent, qui se répondent en échos, répétés par plusieurs voix. 

La silhouette brune s’approche.  ( près de son visage) Un pinceau soyeux de cheveux auburn touche sa joue. Une voix – la voix de la boite rouge ! – murmure son nom en le raccourcissant :

– Marie ? Marie, tu m’entends… ?

Répondre aux cheveux auburn, sourire. L’effort est grand ; trop ; surhumain. Il lui semble courir dans un nuage, ses pieds sont empêtrés de (dans des) à voir ) sables mouvants. Elle ferme les yeux.

– Non, non,…

Les ordres fusent, péremptoires :

– Empêchez-la de se rendormir, vite ! Gardez-la éveillée, parlez-lui.

Les cheveux auburn se liquéfient en larmes, l’une d’elle l’atteint au coin de la lèvre. Elle la cueille d’un bout de langue précautionneux, comme elle faisait il y a … il y a … Longtemps. Dans un monde disparu, un monde d’enfance.

Un jardin, une enfant tombée dans l’herbe et qui pleure. Ma sœur Delphine

– Delphine ?

Les yeux s’ouvrent de plus en plus larges, de plus en plus grands. La lumière les aveugle, dans un grand silence. Puis quelqu’un rit comme on sanglote. Un autre dit :

– Comment vous sentez-vous ?

Elle s’entend répondre qu’elle va bien, merci, et qu’elle a soif. Et pourrait-on fermer cette fenêtre ?

* * *

Au soir de ce jour mémorable, lorsque Marie est sortie d’un long coma de plusieurs mois, les docteurs et les infirmières ont doucement renvoyé Delphine chez elle. Marie ne risque plus rien, il lui faudra quelques semaines de rééducation, mais le pire est écarté. Ce ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir.

Le lendemain, ses enfants sont venus. Intimidés, effarouchés. Amenés par ses parents, (qui ravalent) ravalant leurs larmes et leur peur. Ils ne veulent plus rien voir d’autre que leur enfant retrouvée. Qu’ils ( Ils l’avaient cru perdue à jamais.

– Mais tout ce temps comment te sentais-tu ? Te souviens-tu de quelque chose ?

– Non. Je pense que je dormais, n’est-ce pas ?

On lui a dit qu’elle avait eu un accident, elle se souvient du choc, du téléphone rouge.

– C’est Delphine que a donné l’alerte, elle a entendu le choc, vous parliez ensemble.

Les souvenirs reviennent, précis, la peur, la chute, le trou noir. Et puis…

– Non, je ne me souviens de rien d’autre. J’étais la, on me soignait, n’est-ce pas ? J’ai survécu grâce aux soins, l’hôpital, les infirmières, les médecins, les médicaments (1)  Je leur dois une fière chandelle.

Elle rit, avale une cuillerée de yaourt. Elle dit :

– C’est bon, j’ai une faim de loup.

Concentrée sur un gout, une odeur, une couleur, des fleurs devant la fenêtre, la nouvelle coiffure de sa sœur. On lui demande si elle veut voir les infos, elle dit non, merci. Docile, souriante. Non, merci, pas d’infos, vous pouvez enlever la télévision, non, merci, pas de journaux, je n’ai pas envie de lire. Oui, des roses, portez-moi des roses. Mon parfum. Du rouge à lèvres.

Les choses s’accumulent sur la petite table auprès de son lit, et dans le tiroir : des bonbons, des photos, des coloriages, des tubes de crème, une petite boite avec un jeu de pièces de bois à assembler, un cahier dans lequel elle est censée noter ses progrès. Car elle recommence à marcher, ses jambes blessées ont eu le temps de cicatriser, de guérir ; on lui faisait beaucoup de thérapie (de rééducation passive pendant son coma. On en parle autour d’elle librement, elle fronce les sourcils. Ce trou de plusieurs mois dans sa vie, elle voudrait défendre qu’on y touche, qu’on en parle.

* * *

Er puis tout va três vite : un soir, Jean-François, son médecin préféré, celui qui a des yeux d’eau claire – mais où, où donc ai-je rencontré un tel regard ? – lui dit qu’elle sortira dans deux jours, tout est en ordre, il n’y a plus aucune raison de la garder.

– Sauf  que j’ai du mal à vous laisser partir, nous nous sommes habitués à votre douceur, votre patience. Mais vous êtes tout à fait rétablie maintenant. Tout est prêt pour votre départ. Vous reviendrez pour des visites de contrôle, la première le mois prochain.

– Le mois prochain ?

– Oui, le quinze juin à neuf heures trente, n’oubliez pas.

– Je le note sur mon carnet.

Elle fouille dans le petit tiroir, cherche dans un fouillis de crayons et de cartes de vœux, de tubes et de bonbons dans leurs cellophanes rouges. Le carnet lui échappe, se blottit tout au fond. Elle tire de toutes ses forces, trop brutalement, et le petit tiroir tombe à terre, aux pieds de Jean-François.

Pour une autre malade, il aurait sonné l’aide infirmière. Pour celle-ci, qu’il soigne depuis son arrivée dans son service, aux mois d’hiver, il se baisse, l’aide à ramasser le contenu du tiroir tombé à terre. Loin sous le lit, presque inatteignable, quelque chose, brillant, attire son attention :

– Quel joli caillou ! Qui vous l’a donné ?

Il tient dans le creux de sa main une petite pierre violette, ronde, polie par les centaines d’années passée au creux de la rivière, quelque part, loin, loin … Marie ferme les yeux, essaie de se souvenir, tandis que Jean-François poursuit :

– C’est une améthyste, la fameuse Pierre Violette des alchimistes. Si nous étions au Moyen Age je vous dirais que …

– J’étais au Moyen Age.

– Pardon ?

– Jean-François – je peux vous appeler Jean-François, docteur ? – je vous dis que j’étais au Moyen Age. C’est un homme qui me l’a donnée, Il s’appelait Jehan, Nous y habitions à flanc de colline, une chaumière, pas très loin d’une ville fortifiée, je ne sais laquelle. Il y avait une châtelaine qui m’achetait des dentelles. Ma mère filait au fuseau, je veux dire : une femme que j’appelais “mère”. Je gardais les moutons … “

Elle parle, parle ; tout juste si elle s‘arrête un peu, le temps de reprendre haleine ; puis reprends. Hativement. Comme si elle avait peur d’oublier.  Il l‘écoute, sa main refermée sur la main de Marie, celle où la pierre violette tiédir au creux de la paume.

* * *

Marie regarde en souriant l’homme qui marche à ses cotés dans les rues de la petite ville fortifiée. Il est grand, mince. Il rit et prend des photos d’elle, avançant à pas lents dans les rues empierrées. Ils entrent dans le château par la cour d’honneur. Ce soir il y aura un concert sous les étoiles, ils viendront, ils ont tout le temps après le diner au Chapon Fin et avant la nuit dans la grande chambre médiévale : la leur pour encore trois nuits à l’Hôtel des Couronnes. Ils ont le temps, tout le temps pour se trouver, se chercher, se perdre et se retrouver encore. Jean-François a laissé son travail pour la suivre, elle, ses cheveux courts, ses pantalons de garçon, son désir de paix. Ses histoires d’un autre monde.

Dans sa poche elle caresse la pierre violette, promesse de la vie douce, reconstruite.

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(1)  lesquels ? je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’insister, car comment le saurait-elle ? et surtout, quel est l’intérêt de le savoir, pour l’histoire ? ).

je préfère : remèdes.

oui, mais « remèdes » c’est trop vague, mon ami Jal ! medicaments, c’est le truc chimique qu’on te donne quand tu es malade ; « remède » ce peut aussi bien être une accomodation financiere pour guérir par exemple une dette : ou un truc psychologique pour soigner une crise morale ; ti vois ? Je garde les « médocs « 

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Lise Genz / janvier 2013 

4 Commentaires Poster un commentaire
  1. Hi, Comme quoi la vie tient à peu de chose, un petit caillou bleu parfois.
    Joli aller retour par delà le miroir.
    Je me suis amusé à tremper mes semelles dans un pot de fuchsia. C’est un peu violent comme coloris, mais d’autres sont fades. Ce ne sont que réactions et .propositions, bin sûûr.

    26 janvier 2013
  2. Lise #

    je t’ai reconnu, hue hue !! tu as bien fait et puis le fuschsia, c’est à la mode ! je retiens certaines propositions, j’en ecarte d’autres, mais cela ( corriger à deux, trois ou quatre ) amène la relecture, le re-réflexion, DONC MERCI Monsieur !

    26 janvier 2013
  3. Un lecteur #

    L’ensemble se lit sans déplaisir, ça coule. Les rares endroits où ça gratte un peu ont été soulignés ou mis en vert.

    L’idée n’est pas hyper-originale, mais pour moi, ce n’est pas un critère d’appréciation important . L’idée ne fait pas tout, c’est la manière qui compte.

    Alors alors… Si je comprends bien, Marie revient de chez Marion apaisée, après avoir pris une leçon d’on ne sait pas bien quoi. D’acceptation ? On suppose que Marie ne se retrouve pas tout à fait par hasard chez Marion puisque les anges y veille. On sent également chez l’auteur des intentions précises sur cet ici et maintenant ancien, mais elles n’apparaissent pas clairement. Peut-être cet aspect là du cheminement du personnage de Marie apparaîtrait-il plus nettement, par contraste, si son portrait psychologique était plus précis, dans la partie « avant accident » ? Pendant que tu y seras, précise un peu son âge (elle a une fille au début puis « des enfants » à la fin)

    Je ne sais pas si ça va être possible d’éviter, mais le médecin tombant amoureux de sa patiente, ça craint un peu. Ça fait vraiment roman sentimental bon marché.
    Mais pour finir sur une note plutôt positive, puisqu’à tout prendre, c’est un texte plutôt réussi, même s’il pourrait encore gagner en qualité, je dirais que l’évocation des deux époques est tout à fait crédible, le XXI siècle est juste pénible comme il faut et le XIII pas trop idéalisé. Donc on y croit déjà bien.
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    OUi, je vais mettre tes taches vertes dans le texte un peu partout dès demain là, ça fait un peu tard… (Lise)

    27 janvier 2013
    • Lise #

      J’ai demandé à un auteur de me donner son avis sur ce texte, qu’il m’est difficile de juger par moi-même. Je reçois et poste se réponse ci-dessus, en le remerciant.
      Encore quelques corrections, donc, et c’est vrai que j’ai foncé dans la facilité en trouvant un Jean-Francois bien pratique aux cotés de Marie, sans aller chercher bien loin. Comme quoi la facilité ne donne rien en matière d’écriture.
      Insister sur le personnage de Marie avant l’accident, oui, je le vois ainsi : expliquer pourquoi tant d’amertume, et d’où venue.
      Preciser son âge, OK – et corriger la faute, entre un enfant et des enfants – ca m’avait totalement echappé. D’ailleurs, ta réflexion au sujet de l’âge est umportante aussi dans ce sens : si Marie est octogénaire, tout le récit tombe dans l’ornière. Ou au contraire ?

      Bien entendu le texte pourrait gagner en qualité, et si j’ose encore je t’enverrai le suivant, car celui-ci est bouclé dans le jeu de Janvier qui se termine jeudi… Reste près de ton ordi !
      Encore grand merci et bon dimanche

      27 janvier 2013

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