Le Voyant Rouge / 2 / Lise
Ils attendent un point dans la nuit. Une lumière comme un appel, comme une main levée, qui percera le brouillard, l’aveuglement, l’écran, le rideau bleu du fog au bord de l‘Atlantique en colère.
Un soupir de septembre au moment des grandes marées, elle l’a tout de suite reconnu, dès ce matin, mais ils sont partis malgré tout. Un brouillard inhabituel – de couleur inhabituelle, corrige-t-elle. Un brouillard dense, d‘une densité anormale, et la corne de brume a beuglé au loin toute la journée. Un loin tout prés, au bord de l‘océan par grandes tempêtes les distances sont méconnaissables. Longtemps, un fanal a brillé par intermittence, il fallait écarquiller les paupières, ouvrir grand les yeux sous la perlée de la bruine pour l‘apercevoir.
Les gens du village se sont rapprochés du rivage, les uns après les autres. Ils écoutent sans respirer, en se concentrant vers le large, vers le bateau là bas en peine. Et le fanal allumé au bout de l‘embarcation, et la corne de brume.
Eux, sur le rivage, prient. Les femmes à voix hautes, droites et noires, rigides, rendues de granit sous l‘eau et le vent. Les hommes muets. Parfois un enfant arrive en courant, envoyé par une vieille trop percluse pour venir à l’attente, et qui demande: “ Vous voyez quelque chose ? Vous savez quelque chose ? “ ; et la réponse toujours la même retournée : rien, non, rien.
Puis, soudain, une femme, une jeune, de celles qui ont la vue perçante doublée par la passion, son homme est là-bas, elle peut le voir avec les yeux du cœur, elle peut sentir les muscles durcis par l’effort, et sa volonté de vivre, de revenir vers elle – il en a de la volonté, elle est fière de lui, elle rit dans ses larmes : ah ce n’est pas lui qui se laissera mourir sans rien faire, c’est un vrai homme de la mer, celui-là. Son homme ; et elle toute avancée vers lui, vers le large, les pieds dans l’eau, tend soudain le bras devant elle : » Là, regardez, il y a un point rouge, quelque chose, voyez ! ”
Dans le gris scintillant de mille nuit marines la trainée d’une fusée perce la peur et la pluie. Ils lèvent la tète, suivent sans encore y croire la courte route de feu. Une étoile rouge et orange éclate proche, comme à portée de main.
Le signal. Ils sont vivants, ils arrivent, ils sont sauvés.
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lmg, 3 janvier 2014
C’est toujours magnifique, et les émotions se percutent au fur et à mesure. Et merci pour la fin!
AI PENSé à TOI ! J’ai dis en moi-même : assez de tremblements !!! et puis je n’aime pas les histoires qui finissent mal, je ne suis pas du tout « a la mode » ni gore tout ça …
C’est gentil…je n’aime pas les histoires qui finissent « trop » bien, mais je ne suis pas à la mode non plus, le gore, ce n’est pas pour moi.
Encore un beau texte. Merci.
Il est beau aussi ce texte… Et puis, il ne se finit ni trop mal ni trop bien 😉 le juste dosage….
c’est un peu difficile de trouver un autre ton sur un même sujet, d’autant plus que j’ai écrit les deux le même jour, hier ; et j’étais influencée par le premier.
J’ai tourne la difficulté en prenant carrément un décor très diffèrent.
On dirait que nous avons définitivement perdu Jalep , Est-ce possible ?
Je n’espère pas…
Je vais le contacter, il est peut-être retourné en Belgique pour les fêtes, auquel cas, il nous reviendra bientôt.
c’est vrai, celui-ci est vraiment très beau aussi
je t’ai envoyé le mien 😉
bises et bonne journée!
Bien reçu, merci Madame de Belgique, et bon dimanche. Je viens juste de le mettre sous presse 🙂 Si quelqu’un a une photo ?
Bien charpenté et prenant,
mais, un signal rouge en mer signifie une situation de détresse.
Afin de dédramatiser, je devine que la dite fusée c’est le cœur de l’amant perclus de détresse affective après plusieurs semaines en mer, loin trop loin de sa compagne.
C’est vrai, surtout la fusée ! J’étais influencée par la côte à la Pointe du Raz et la Baie des trépassés, j’en ai un souvenir inoubliable, après un orage, l’ocean mauve, le ciel bleu marine et le soleil qui se couchait tout au fond de l’horizon, une trainée de feu jaune orangé : à me couper le souffle !,
Très breton ce texte ! il me fait penser au nom du quartier de Recouvrance à Brest, qui étymologiquement est l’endroit où on « retrouve » (recouvre) car c’est sur cette colline que les femmes de marins montaient pour guetter le retour des bateaux.
j’ai trouvé une autre explication un peu différente ici :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Recouvrance_%28Brest%29