Colonie
Observatoire astronomique de la Côte d’Azur
Leur croissance fut lente, suffisamment longue pour passer inaperçue. La ceinture de satellites transmettait les prises de vues vers les opérateurs sur la Terre, installés derrière leur pupitre. Vues de l’espace, ces étranges constructions n’éveillèrent pas leur curiosité, non seulement parce que vues d’en haut, elles ne ressemblaient nullement à des constructions mais aussi, le phénomène avait pris naissance depuis déjà plusieurs années. Jour après jour, leur croissance molle fit oublier qu’initialement, n’existait rien d’autre à cet endroit que l’identique paysage alentour : la caillasse et l’herbe roussie.
Un randonneur solitaire se perdit en chemin : c’est lui qui prit les photos au sol. Il ignorait totalement l’importance de sa découverte. Ce n’est qu’après plusieurs mois qu’il publia un cliché sur les réseaux sociaux. Mal lui en prit, le soir même, il recevait la visite d’un trio en uniforme et armé qui ne lui laissa d’autre alternative que de les suivre jusqu’à leur véhicule. Il fut longuement questionné mais n’eut le loisir de découvrir ni le lieu de l’interrogatoire ni les personnes dont les voix sortaient d’un écran de lumière vive.
Ce n’est qu’à partir de cette entrevue que les photos prises de l’espace furent comparées entre elles. Dans les bureaux des services secrets de l’armée, l’impact fut psychologiquement douloureusement ressenti. A partir de rien sur une période de trois ans et quatre mois, d’étranges constructions aux formes arrondies s’étaient formées sans que rien ne semble y avoir aidé de l’extérieur. Les premières photos montraient une simple excroissance qui ressemblait à un champignon blanc, une sorte de grosse vesse-de-loup. A partir de ces premières images, pas de quoi rameuter la communauté scientifique. A présent, différentes instances se disputaient le droit d’arriver en premier sur place : la recherche biologique en milieu exoplanétaire, la répression anti-cannabis en milieu fermé, un centre de théologie comparée, un bureau d’architectures strato-sphériques ; la liste était longue, hérissée de titres ronflants ou farfelus, souvent les deux. C’est l’armée qui s’y rendit en premier, enfin leurs dirigeants le croyaient avant de déposer leurs hélicoptères non loin des étranges bâtisses sphériques. Par un des mystères des services échangés via Internet, en l’absence de permis de bâtir, le Cadastre y avait délégué deux employés assermentés, avant tout le monde.
Le randonneur perdu n’avait pas menti : assoiffé, il s’était approché des sphères pour demander de l’eau mais l’intérieur des immeubles semblaient inaccessibles. Nulle barrière ou autre moyen de défense. Simplement, ce qui ressemblait pourtant à des habitations n’était pourvu d’aucun moyen d’accès. Aucune porte ou écoutille sur ces curieuses sphères ne permettaient de communiquer. Des hublots opaques garnissaient la plupart d’entre elles, mais scellés dans la masse, ils n’offraient pas plus d’ouverture ni de visibilité sur le contenu.
Le soleil déclina, se coucha et dans l’attente d’un jour nouveau, les militaires décidèrent de bivouaquer sur place pendant qu’un des représentants du Cadastre tapait son rapport sur son portable. Le voile noir de la nuit finit par couvrir l’ouest et à ce moment, ils l’entendirent. Cela venait des curieux bâtiments tout en rondeur : quelqu’un jouait d’un instrument de musique : du violoncelle. Aucun air connu, ce n’était d’ailleurs pas à proprement parler un air de musique. Cela n’en avait ni la cohérence ni l’atteinte mélodieuse. Il s’agissait tout au plus d’une suite de notes longues ou courtes. Le militaire chargé des transmissions comprit le premier : « DU MORSE, C’EST DU MORSE ! ».
Ses supérieurs lui demandèrent de traduire et de répondre. Mais que répondre à « Ceci est un observatoire » ? Les chefs ordonnèrent au militaire de demander ce qu’ils observaient.
Le violoncelle répondit : « Les humains ».