Un peu, beaucoup 12 / E Pericoloso, par Jacou
« Ouah ! C’est ici qu’il m’emmène. »
J’ai entendu à la radio : « Il ne lui a rien dit. Il compte lui faire la surprise au dessert, le jour de la Saint Valentin.» Il m’a rien dit. C’est ça, c’est lui.
Il m’emmène dans ce restaurant très cher ; d’habitude, c’est bouquet de fleurs et dîner aux chandelles à la maison…, C’est ça. C’est lui.
Quel luxe ! J’ai pas l’habitude. Mais j’aime ça. Je m’y habituerai ; pas de soucis. Je me sens bien. Ils sont tous là, attentionnés, comme s’il n’y avait que moi. Et à partir de maintenant, ma vie, ça va être ça, tout le temps. Le rêve
Tout à l’heure, avec ces gens qui se payent tout ce qu’ils veulent, j’étais bien. Au milieu de toutes ces richesses, et le personnel aux petits soins pour moi, ça pouvait pas être autrement ; j’ai craqué. Pour sûr, je regrette pas ; ça non.
Je l’ai bien mérité. Et puis, qui dit que demain, un quelconque émir ne l’aurait pas acheté pour une de ses nombreuses femmes. Déjà, qu’elles en ont plein. Et depuis le temps que j’en avais envie. Et puis ma mère m’appellera plus « mains percées »; elle me fera plus sa morale à quat’ sous, que je dépense trop, que ça sert à rien tout ça; et gnagnagna et gnagnagna…
Ca y est, le dessert.
– Chérie, j’ai une belle surprise pour toi. Tu vas être très heureuse, toi aussi. J’ai un fils.
Qu’est-ce que je fais ? Je lui lance mon verre à la figure. Je me lève et lui renverse la table dessus. Impossible. Du plomb coule dans mon corps.
– Tu as, tu n’as pas..
– Ce n’est pas ce que tu penses (« Si tu savais à quoi je pense ! »). J’ai donné mon sperme. Voilà tout. Et mon fils a voulu connaître son père. Cela n’a pas été sans difficulté. Il a réussi. C’est merveilleux, n’est ce pas ? (« Mais non, gros bouffi, c’est pas merveilleux un lardon, c’est des millions que je veux ; tiens, les rimes ça m’est venu tout seul, j’ai peut-être de l’avenir dans l’écriture.»)
-Moi aussi, j’ai..
-Toi aussi. Mon amour, comme tu es généreuse ! Donner tes ovules ! Tu me combles ! Nous sommes vraiment faits l’un pour l’autre ! Mon ange !
Je hurle :
– J’ai acheté une bague chez Cartier ! J’ai signé un chèque ! Salaud ! Tu comptais me le dire par recommandé avec accusé de réception que tu as perdu le gros lot du Super Tirage de la Saint Valentin !
– Mais chérie, c’est pas si grave que ça. Le jour du Loto, j’avais rendez-vous avec mon fils Romain. J’ai oublié de jouer. Voilà tout. On gagnera un jour. Je te promets.
C’est décidé. Je le quitte.
Qu’il reste avec son florentain, son pisain, son crétain, non, ça c’est en Grèce…
Bon, je vais pas perdre mon temps à passer en revue toutes les villes d’Italie. J’ai mieux à faire.
Je vends sa bague. Et je m’en vais loin. Très, très, très loin, vraiment très loin.
Il l’aura pas volé…
Info entendue sur France Inter: « Un homme a gagné le gros lot du loto. Il compte l’annoncer à sa femme au moment du dessert, le jour de la St Valentin. »Février 2013
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Jacou, 13 fevrier 2014