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Articles de la catégorie ‘ECRIRE ENSEMBLE JUIN’

Calendrier 15 / le 31 juin – par Mme de K

Le 31 juin,frans hals
Je serai gentille avec tout le monde,
je finirai mon travail en retard,
Je ne dirai plus de gros mots,
Je ferai un régime sérieux.

Le 31 juin,
Je bouderai mes filles,
Je changerai de mari,
J’oublierai mes amis.

Le 31 juin,
De l’année prochaine…

Illustration : le bouffon au luth – Frans Hals – 1623

Grand Café 2 / Les divers synopsis

Nous avons déja QUATRE synop, celui de Jaleph, celui de Marie-Ange, celui de Ma’,  et le mien

Une page Grand Café est ouverte avec les quatre différentes suggestions pour une suite aux aventures d’Amélie.

Merci au quatuor,  Jal, Marie-Ange, Ma’ et moi-zigue .

_________

et maintenant on peut reprendre le texte  après les deux textes postés ( Jal, Lise). C’est au tour de Madame de K – ki a disparu dans les brumes estivales… 

Demain soir, si pas revenue, ce sera le tour de la suivante, et ainsi de suite

ECRIRE ENSEMBLE 7 / Grand Café

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Grand Café

 

Une once de diplomatie : elle a obtenu que leur rencontre se déroule dans un lieu public. Primo rencontre. Approcher un anonyme demande quelque précaution élémentaire. Enfin, pas totalement inconnu, l’homme, sauf s’il a menti sur sa propre personne lors des échanges électroniques. Il semble sincère. Prudence quand même, on devine quelquefois des dérapages bien inquiétants en matière de quête d’âmes sœurs.

Ce sont ses collègues du salon de coiffure qui l’ont incitée à faire le pas. A l’occasion de son vingt-cinquième anniversaire, elles ont déposé dans les mains d’Amélie un gâteau tout rond, glacé-sucré. La dextre d’un artiste pâtissier    y a calligraphié une prière ancestrale au tracé chocolaté,  : « Sainte Catherine, ne me laisse pas mourir célibataire. Un mari, sainte Catherine, un bon; mais plutôt un que pas du tout ». Prière soulignée par son prénom : « Amélie ». Elle se serait passée de cette précision !    

C’est l’heure H, celui du rendez-vous. Amélie passe trois fois devant la porte du « Grand Café des Cuivres ». Elle doit se décider. Il doit s’y trouver déjà. Pour qu’ils puissent se reconnaître,  elle porte son ensemble turquoise. Lui, arrivé un peu en avance, doit lire son journal. Pas de photos via Internet, choisissant ne pas s’influencer mutuellement d’une façon ou l’autre. Mais il l’avait assuré être bien de sa personne.

Amélie pousse la porte centrale du grand établissement ; à peine dans les lieux, elle compte cinq individus seuls, tous beaux, chacun le nez dans sa gazette. 

«  Voila bien ma chance, » pense-t-elle avec un sursaut d’indignation. Timide depuis l’enfance, réservée a la limite de la sauvagerie, Amélie  s’est pourtant jurée de faire tous les efforts nécessaires pour sortir de cette léthargie boulot-dodo qui risque de l’entrainer dans une vie  routinière et sans intérêt si elle n’y met le holà. Elle s’est persuadée que ses amies ont raison : il lui faut un mari, des enfants, une famille. Orpheline trop tôt, élevée décemment mais sans  tendresse par sa tante célibataire, Amélie  a d’abord souffert d’isolement, avant de s’habituer a la torpeur des jours.

A la mort de Tante Alice, elle n’a rien changé au rythme de vie une fois pour toute établi par la vieille dame.  Elle continue d’habiter dans la maison ancestrale, trop grande pour elle et que l’héritage de sa tante suffit à peine à entretenir.  Le seul fait marquant dans sa vie, depuis trois ans, c’est ce travail dans le salon de coiffure de Carole. 

Dès son arrivée, Carole s’était comportée comme une mère de substitution pour elle. Amélie avait trouvé réconfort et écoute dans le joli salon de coiffure. De toutes les employées de Carole, elle était la plus jeune et chacune y allait de son conseil sur la façon dont elle devait mener sa vie. Mais chaque fois, les mêmes mots revenaient : mari, enfants, famille… 

Amélie n’avait bien entendu pas envie de passer sa vie toute seule mais il lui semblait avoir encore le temps. Ses amies étaient certaines du contraire : l’horloge biologique tournait et cela n’arrangerait pas ses affaires que de laisser trainer. La dédicace sur le gâteau avait été le coup de grâce. Après tout, elles avaient l’expérience et attendre ne ferait pas disparaître sa crainte de se lancer !

Et pourtant, impressionnée par les lieux, anxieuse à la crainte d’une déception , anéantie à l’idée de ne pas aborder le bon homme, Amélie ne parvient pas à avancer dans le Grand Café.

« Attention Mademoiselle ! »

C’est le garçon de café qui vient de l’interpeller après avoir failli renverser sur l’ensemble turquoise trois grands crèmes et un chocolat chaud qui se trouvaient sur un plateau en équilibre au bout de son bras.

 » Bon c’est malin  » pense-t’elle,   »moi qui avais presque décidé de rebrousser chemin, me voici contrainte de poursuivre maintenant qu’ils me regardent tous !  »

 Bien consciente que son ensemble turquoise l’identifie, elle se refuse de butiner à la ronde pour le débusquer et choisit de s’asseoir bien en évidence au centre de la place et attendre qu’il daigne se manifester.

 Maugréant intérieurement contre ses collègues qui l’ont foutu dans un tel guêpier, elle observe discrètement les cinq penchés sur un journal.  Celui qu’elle soupçonne être son « contact » se lève , passe devant sa table et va rejoindre une dame à la terrasse. Un autre replie sa gazette, paie sa consommation et quitte les lieux.

 Dégoûtée et déçue elle s’apprête à en faire autant quand le garçon de café se présente pour prendre sa commande . (Marie-Ange)

– Vous avez fait votre choix, Mademoiselle ?

Elle lève les yeux vers lui, un peu désorientée. Elle soulevait précisément les fesses de sa chaise et avait repris en main son petit sac. Elle se laisse retomber. Diable, en voilà un beau brun ténébreux !

Je devrais venir ici plus souvent, se dit-elle en laissant glisser son regard le long de ses larges épaules jusqu’à ses mains. Il n’a pas de bague. Ça ne veut peut-être rien dire,  restons calme…

– Euh… oui… apportez-moi un cappuccino, s’il vous plaît.

Puis dans un grand sourire elle ajoute :

– Je sais que ce n’est pas l’heure du cappuccino et que les Italiens le considéreraient comme une hérésie…

Il rit, découvrant de belles dents avec un petit interstice entre les incisives.

– Ne vous inquiétez pas ! Je suis d’origine italienne et j’aime tant le cappuccino que j’en boirais à toute heure ! Je vous apporte ça tout de suite…

Elle le suit des yeux quand d’une pirouette il se dirige vers le comptoir. Serait-il possible qu’un si bel exemplaire soit encore libre ? Elle n’ose y croire. Mais ce qui est sûr, c’est que leur petit échange l’a complètement rassérénée. Elle se sent parfaitement à l’aise, tout à coup, cale son dos contre sa chaise, tapote son portable, murmure un prénom… Fabio… Elle l’a vu sur son badge.

Elle ne se rend pas compte qu’à demi-cachés derrière leur journal, des regards l’observent…

(Adrienne)

Fabio connaît le métier. Sans le montrer : observer la clientèle. Son meilleur outil est le grand miroir du comptoir, qui lui sert de rétroviseur. A l’arrière du zinc,  ses mains s’affairent dans les tâches courantes. Préparer les boissons, nettoyer tasses et verres, lustrer les cuivres, raviver le miroir du bar. Mais il voit tout et sait tout de ce qui se passe dans le grand café. Détecter le moindre sourcil quémandeur d’une cliente ou d’un client. Deviner le juste moment ou son choix est fait, l’instant où il relève les yeux de la carte des boissons, une seconde avant que son regard sur sa tête périscope et que son index levé prie le ciel que quelqu’un l’aperçoive pour venir prendre sa commande. Tel un ange prévenant, Fabio se déplace alors en glissant à trois centimètres du sol,  invisible dirait-on. On est surpris et charmé de le voir si rapidement près de soi, sans qu’il vous presse pour autant. Il arbore son merveilleux sourire nature. La commande passée, Fabio dépose sur votre table l’objet de votre gourmandise  dans un laps de temps si court que vous cherchez son jumeau à travers la salle.

Fabio voit tout, et ce qu’il vient de voir l’intrigue. La jolie demoiselle semblait attendre quelqu’un. Une personne qui n’est jamais venue. Elle est passée aux toilettes où elle a dû replacer quelques mèches de cheveux en bon ordre, a commandé un deuxième cappuccino, a demandé l’addition en accrochant son sourire à ses sous. Elle a quitté  l’établissement en lui faisant signe de la main ; cela ressemblait à un au-revoir. Elle était restée seule cinq minutes encore après que le dernier journaleux ait quitté les lieux. Ce qui est intrigant, il en mettrait sa main à couper, c’est qu’un de ces trois personnages repassa devant le grand café vingt secondes après que la jolie demoiselle en tailleur turquoise ait quitté les lieux. Et quand elle traversa le boulevard et qu’elle disparut en tournant au coin de la rue, Fabio en fut certain, ce type la suivait. 

(Jaleph)

Et ça, c’était quelque chose que  Fabio supportait difficilement. Qu’un individu se permette de manquer de respect à une dame, et plus encore une jolie fille qui n’avait rien d’une allumeuse, au point de la prendre en filature.  » Et dans quel but ? « , se demandait Fabio courroucé. Il l’avait classée dans les filles « bien » dès qu’elle avait mis le pied dans l’établissement.

Et dans sa morale  à lui, Fabio, personne ne devait suivre une fille bien, point final.

Justement, Marin, le jeune étudiant qui prenait la relève, arrivait en se frottant les mains, la bouche pleine d’histoires drôles que Fabio ne lui laisse pas le temps de raconter :  » A demain ! « .

Et il s’envole aux trousses de l’autre  le long du trottoir en direction des bords de Seine.

La jeune fille turquoise ne se doute de rien et continue son chemin tranquillement, toute occupée à revivre l’épisode de la conversation avec Fabio, et son irrésistible sourire.  » Je ne suis pas venue pour rien, tous comptes faits « , pense-t-elle, contente.

Elle aime que les comptes soient faits, et ronds.

(Lise)

____

L’homme qui lui a emboîté le pas s’appelle Lucas, il est le frère cadet de Carole la propriétaire du salon de coiffure.

 Beau gosse mais affreusement complexé parce que bègue, il s’intéresse à Amélie depuis longtemps, mais n’a jamais réussi à le lui faire comprendre.

 Le contact anonyme par internet lui semblait la panacée miracle, mais voilà que l’approche de visu n’est toujours pas faite et que ce tombeur de Fabio risque de la courtiser et séduire à sa place.

 C’est l’urgence d’agir qui l’a poussé à cavaler derrière elle, maintenant, de plus en plus proche de la rejoindre, il se sent terriblement ridicule et démuni et craint fortement un autre rejet.

 La voici arrivée devant le portail de sa maison, par réflexe , elle se retourne pour s’assurer qu’elle n’a pas été suivie, avant d’ouvrir.

 Son regard s’illumine, elle sourit et tend la main pour se présenter.

Marie-Ange

« – Madame Labranche, vous êtes bien madame Labranche ? Vous vous présentiez aux municipales, je ne me trompe pas ?

– C’est bien cela, vous êtes madame ?

– Appelez-moi Amélie, tout le monde m’appelle ainsi, je suis coiffeuse.

– Ce n’est pas une raison pour manquer de nom de famille, vous ne pensez-pas ?

Amélie se vexe, elle pense à toute allure qu’elle aurait voulu la féliciter pour son programme, qu’elle regrettait sincèrement que cette madame Labranche ne put remporter suffisamment de suffrage, mais qu’en définitive, elle la trouvait tout à coup beaucoup moins séduisante que sur les affiches électorales et que ben oui, c’était bien fait pour sa pomme si elle n’avait pas été élue.

La dessus, madame Labranche la salue d’un petit sourire pincé et poursuit son chemin de trottoir, traînant derrière elle un effluve de lavande et d’ail.

Amélie fouille dans son sac à la recherche de ses clefs. Deux ombres se profilent, l’une à sa gauche et l’autre à sa droite. Sur l’instant, elle croit à une agression. Amélie doit se forcer à dévisager les deux individus, elle lève les yeux vers la gauche et reconnait Lucas. Habillé d’un complet veston gris chiné et d’une jolie cravate sur chemise parme, elle ne l’avait pas capté attablé au Grand Café des cuivres. Lui qui est toujours fringué à la « Gaston Lagaffe ». Elle ne prononce pas un mot, sourit brièvement et tourne la tête vers la droite. Elle reconnait tout de suite Fabio, le beau garçon du bar. Et là, dans une sorte de réflexe incompréhensible, elle fait une chose incroyable, sans en envisager les conséquences. Elle lance à la cantonade : « et si on allait prendre un verre chez moi » ?

jal

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ECRIRE ENSEMBLE 6 / le canapé de l’étrange

ecrire ensemble 6 adrienne– Tu verras, lui avait-il dit, j’ai tout arrangé !

Deux mois déjà qu’il lui répétait de ne s’inquiéter de rien, qu’il s’occupait de tout. Mais elle le connaissait, son homme, alors elle n’était pas rassurée. Pas du tout, même !

– Je suis sûr que ça te plaira, comme endroit, dit-il encore. Un peu retiré du monde, exactement comme tu aimes !

Elle se demandait d’où lui venait cette réputation d’ermite, elle qui avait toujours aimé la ville et le mouvement, les bons petits bars à vin où on peut déguster des crus au verre, accompagnés de quelques plats du terroir. La ville et ses nombreuses offres de sorties, le cinéma, le théâtre…

Apparemment, il n’y aurait rien de tout cela là où il l’emmenait.

– Mais alors, comment on fera pour les repas ? Faudra que je cuisine moi-même ? s’enquit-elle.

– Non, non, il n’en est pas question, tu auras de vraies vacances ! Tout est prévu, je te dis !

Pourtant, tout le long de la route, elle ne réussit pas à profiter sereinement du paysage.

– Je ne serai tranquille que lorsque j’aurai vu, pensa-t-elle.

Et la première chose qu’elle vit, ce fut le canapé.

Le couple avait quitté Clermont Ferrand en voiture au petit matin. Les trois-quarts du trajet s’étaient déroulés sous une pluie battante. Passé la frontière italienne l’édredon nuageux se déchira, laissant quelques plumes blanches voleter de-ci de -là  sur le fond céruléen. Alvin avait réservé un gîte dans un village fiché à flanc de colline, situé entre Cinque Terre et La Spézia. Le bout du monde aux portes de la ville. Alvin avait en tête les premiers pas touristiques dès leur arrivée.  Ils s’étaient relayés au volant mais arrivé à destination, éreintée, Claire priait pour se mouler dans un bon fauteuil, une boisson fraiche à portée de doigts.

L’image du canapé lui sauta aux yeux parce que sa présence, son habillage étaient complètement incongrus au milieu des meubles anciens et des reproductions de tableaux de madone ou de champs fleuris. Ce canapé était tendu d’un tissu imprimé de zébrures verticales blanches et noires comparables à celles de l’équidé. Mais à intervalles réguliers, à l’horizontale, les lignes contrastées étaient interrompues par des séries de chiffres noirs.

—«Alvin, regarde, un canapé-zèbre à code barres» !

– Hé oui,  et ce n’est pas tout !

Déjà Alvin montait  à l’étage, ouvrait des portes, et Claire entendait l’eau couler dans ce qui devait être une salle de bain. Mais elle, figée, continuait de regarder le canapé à rayures, la tache bleutée, les chiffres qui prenaient  maintenant des dimensions  bizarres, un code remontant lentement du fond de sa mémoire : où, mais où donc avait-elle vu  ce dessin, et jusqu’aux coulures de l’encre sur les zébrures, le fondu des couleurs entre elles, sous l’influence d’une grosse pluie. Ou d’une larme ?

Une image lentement se faisait jour à travers les milliers de secondes amoncelées dans sa mémoire : une route, la pluie, un talus, un choc.

Alvin, là-haut, l’appelait :

– Viens un peu voir la mer, c’est fantastique.

Mais elle, incapable de bouger, gardait toujours les yeux fixés sur le canapé-zèbre au code barre.

Tout remontait petit à petit, des bribes de souvenirs affleuraient, flous et insaisissables, puis de plus en plus nets.

 La voiture avait fait plusieurs tonneaux, elle s’était immobilisée sur le toit au fond du ravin et Claire, immobilisée par la ceinture de sécurité et l’airbag, aveuglée par les larmes, le sang et ses cheveux était restée des heures avec le code barre d’un paquet de gâteaux coincé devant les yeux.

 Elle revenait de faire les courses et avait été surprise par un sanglier traversant la route. Elle avait donné un coup de volant un peu trop brusque. La route de montagne était déserte. Ses parents, avec qui elle était en vacances, n’avaient donné l’alerte que bien plus tard car ils croyaient qu’elle était partie en ville pour la journée.

 Et là, sur ce canapé, c’était le code barre du paquet de gâteaux qui s’étalait en chiffres énormes.

 –          Je ne peux pas rester ici Alvin ! S’il te plaît, partons !

 –          Mais qu’est-ce qui te prend ma Clairette ? Tu n’aimes pas cette maison ?

 –          Cette maison est maudite Alvin, je le sens, je le sais ; il va nous arriver quelque chose de moche ici…

La tâche bleue semble se diluer devant les yeux de Claire. Les larmes lui montent aux yeux, sa respiration devient difficile. Les souvenirs affluent, elle tente d’expliquer à Alvin ce que ce code barre représente mais les mots se bloquent. Elle n’y arrive pas, comme si le dire ferait redevenir réel son cauchemar.

Puis, elle remarque la forme du dossier du canapé. Cela la frappe soudain ! C’est exactement l’image qu’elle a eue du haut du dos du sanglier au moment où elle l’a heurté. Les touffes hirsutes sont réparties identiquement. Pourtant, l’instant avait été fugace mais elle en est certaine, c’est bien la même silhouette ! Et cela non plus, elle ne parvient pas à le verbaliser, ajoutant à sa panique et à l’incompréhension d’Alvin.

Il la regarde, il tente de la prendre dans ses bras pour la réconforter mais elle se débat comme si sa vie en dépendait. Il n’arrive pas à s’habituer aux crises de panique de Claire. Il pensait qu’en s’éloignant des lieux de l’accident, elle pourrait se sentir mieux. Il se dit qu’il lui faudra juste un peu de temps et que le changement d’air lui fera du bien. Mais là, juste maintenant, il aimerait pouvoir comprendre, qu’enfin elle parvienne à lui raconter…

Cher homme s’il savait !

Lui si tendre , si attentionné !

Je lui avais pourtant fait la promesse de ne plus revoir cet envoutante « parenthèse ».

 J’avais réussi , jusqu’à maintenant, à refouler et maintenir la boîte de Pandore fermée bien étanche.

 Maintenant tous ces signes me ramènent certes à l’accident, mais surtout à cette faute , à cet incartade inavouable.

 Le code barre, la forme sanglier, le bleu, le même azur que celui de SES yeux. Retenant un sourire, elle se rappelle avoir fait une association avec le bleu de cette chambre , témoin de leurs ébats coupables.

 Comment lui demander de quitter cet endroit, ou de sortir ce canapé sans éveiller ses soupçons ?

 Tremblante, de peur, de remords, d’ambivalence, elle se revoit saoule de plaisir, au volant de sa voiture, sur cette route sinueuse , la tête et le cœur aveugles aux obstacles.  Trop euphorique elle a été surprise par ce sanglier, s’est retrouvée coincée, à expier dans le fossé.  Elle croyait avoir suffisamment purgé sa peine, c’était compter sans la mémoire.  

Elle regarde à nouveau le canapé, les chiffres du code barre attirent son attention, 12081983 espace 11091985 , elle réalise que la première série correspond à la date du jour de l’accident et que la deuxième correspond à celle de leur arrivée en cet endroit.

 *  *  *

Deux années s’étaient écoulées mais c’était comme si l’accident avait eu lieu hier.

Pendant qu’elle avait été hospitalisée, Alvin avait loué un appart et quitté son petit studio. Dès qu’elle fut de nouveau sur pied, il ne lui restait qu’à emménager avec quelques dernières affaires personnelles : tout était déjà prêt et en place. Elle n’avait pas vraiment été consultée et même ses parents étaient dans le complot. Ils voyaient en Alvin le gendre idéal. Son père avait trouvé en lui le parfait partenaire pour ses interminables parties d’échecs et sa mère rêvait déjà tout haut de son premier petit-enfant.  Ou plutôt de sa première petite-fille, car elle se voyait déjà lui cousant des petites robes à fleurs et lui mettant des nœuds roses dans les cheveux.

Pour Claire, tout ça allait un peu trop vite. Mais comme elle se sentait coupable, elle se laissait diriger et faisait toutes leurs volontés : père, mère, Alvin, tous avaient pris le pli de décider pour elle. On ne la consultait plus que pour la forme. D’ailleurs, elle était toujours d’accord.

Mais depuis deux ans, elle traînait cette sorte de langueur et cette incapacité à s’en sortir, à communiquer. Même ses deux meilleures amies n’étaient au courant de rien et elles aussi mettaient sur le compte de l’accident son attitude parfois étrange et souvent absente.

– Et si je lui avouais tout, là, maintenant, tout de suite ? se dit-elle. 

Ce que je vois ne peut être la réalité. Il faut que je me raisonne. C’est un mauvais rêve, un cauchemar. Pire, une hallucination. Cela fait pourtant pas mal de temps que je n’ai plus rien consommé d’illicite. Les chances pour que ces chiffres correspondent à des dates aussi significatives dans mon vécu sont plus minces que celles obtenues en gagnant à Euro millions. Cette vision, cette révélation dépassent le champ de l’improbable. C’est quasi impossible, je deviens folle. Et s’il s’agissait d’une méchante blague. Alvin ? Non, pas lui, je deviens parano.

« Alvin, je suis mal, la fatigue du voyage sans doute.

—Du repos, ne reste pas debout, tu es toute tremblante, allonge toi dans le canapé.

—Ah non, ça jamais ! Tu n’as pas vu les chiffres ?

—Mais, qu’ont-ils, les chiffres, Claire ?

—Ils correspondent à des dates, ne vois-tu pas ?

—Tiens oui, la date d’aujourd’hui, je n’y avais pas fait attention.

—Et l’autre, la première, cela ne te rappelle rien ?

—J’y suis, l’accident, c’est très étrange en effet, tout comme ce canapé d’ailleurs, il est drôle mais cela ne me fait pas vraiment rire. De plus, il est fichtrement contemporain, comment a-t-il atterri dans ce village archaïque ? Bizarre mais sans danger, il ne me fait pas peur, d’ailleurs je vais te montrer, je m’y installe. Et de grâce Claire, calme-toi, ce n’est que du mobilier.

—Non, Alvin ! Non ! »

Mais Alvin s’approche du canapé sans se presser, de son long pas élastique de sportif que rien n’arrête. Aux cris de Claire, il se retourne pourtant, sourit, balance un instant entre courir vers elle ou s’affaler sur les coussins. Il choisit un moyen terme , se perche en héron sur la jambe droite, le pied gauche suspendu en attente au dessus du siège.

– Regarde, si je le défonçais à coup de tatanes ? Si tout simplement nous le démolissions, ce truc-muche-moche sur lequel je te défends bien de poser tes miches, sans mâcher mes mots ? Si nous le brûlions ce soir en feu de joie, et tes souvenirs avec ?

Il y a dans son regard cette étincelle que Claire connait bien pour s’y être souvent raccrochée, quand tout semblait la quitter ; cet éclair de malice, de bonté pétillante, car Alvin a des yeux de champagne sous la mousse claire des sourcils. Un regard qui continue de capturer Claire ; des yeux qu’au plus fort de sa passion pour l’autre elle n’a jamais pu oublier.

Elle observe les bulles dans les yeux d’Alvin, et elle sait… Elle se rend une nouvelle fois compte de l’immensité de sa faute et estime que tout ce qu’elle a subi depuis n’est que juste châtiment, qu’elle n’a pas encore fini d’expier, qu’elle est condamnée jusqu’à la fin de ses jours. Quand il la regarde ainsi, elle regrette presque de n’avoir pas péri dans l’accident. Et en même temps, il lui semble y avoir laissé sa vie, son insouciance, sa foi en un lendemain qui chante.

Et soudain, elle la sent en elle, cette flamme que l’étincelle des yeux d’Alvin sait allumer ! Elle sent tous ses muscles se détendre. Elle a envie de bondir et de sauter sur le canapé à pieds joints, de faire la fête et d’entraîner Alvin dans une folle équipée. Pourtant, elle n’en fait rien. Elle regarde toujours Alvin dans sa posture de flamant rose. Elle attend qu’il décide ce qu’il convient de faire, qu’une fois encore il prenne tout en mains.

Il la dévisage. Il ne parvient pas à deviner les pensées qui agitent Claire. Il voudrait que l’esprit du zèbre-sanglier fasse revenir sa Claire à la vie, car il ne voit plus qu’une ombre de Claire quand il la regarde.  

Mais sa position n’est guère stable, et il ne tarde pas à perdre l’équilibre. Claire le voit tomber mais elle ne sait plus réagir et avant qu’elle n’ait dit ouf, la tête d’Alvin heurte le bras du canapé.

Stupéfaite, affolée, elle se précipite vers lui. 

Il est inconscient, du moins le croit-elle ! 

Elle tremble d’angoisse, les larmes affluent, elle l’appelle, l’embrasse, le berce, rien n’y fait , il demeure inerte contre sa poitrine. Elle sanglote ;

_ Pardon Alvin, pardon, je t’en supplie reviens-moi, c’est trop cher payé, je te jure que c’est terminé, que je ne le reverrai plus jamais ! 

Elle court chercher une compresse d’eau froide, éponge avec précaution son visage et la tuméfaction apparue sur son crâne, elle gémit, l’implore de reprendre connaissance. 

_ Je ferai tout ce que tu veux, nous aurons des enfants, j’accepte de t’épouser et de fonder une famille. J’ai tant besoin de toi, je regrette tellement , si tu savais !

_ Maintenant je sais, dit-il en se redressant !

 

Lancé par Adrienne, suivi par JalephLise, Madame de K. ,  Ma’,  Marie-Ange/ ( tour 2 / 9 juin 2013