Aller au contenu principal

Archives de

Quelques heures …

… avant demain et fin de mois avant minuit ce soir – j’ai 6 heures de plus que vous, hou hou – ,  il n’y aura donc pas un troisième texte célébrant les voitures de nos vies, ingrats que nous sommes. Remercions Jaleph et Adrienne, qui ont eu le courage d’écrire une mini-nouvelle a la gloire de telle voiture de leur jeunesse.

Le prochain texte du mois , celui de juin, sera mis en ligne demain samedi 1er Juin.

Pour la bonne compréhension de ce blog, je redis que tous les textes sont bienvenus, et l’Ecritoire est ouverte à kiki n’en veut. Il suffit de laisser un commentaire pour nous en informer.

Bonne fin de mai

Ecrire / JM Lafrenière

 » Je me réveille au bruit de l’alphabet, à l’écho des syllabes, au chuintement des consonnes, au vacarme des voyelles. J’étire en paragraphes le biceps des   mots, les muscles de la phrase, la peau blanche des pages. Les mâchoires crispées, j’écris comme un haltérophile soulevant l’invisible. Je me fais un cocon me protégeant du fric, des affaires et  des chiffres. Je me taille un habit dans le non-dit du monde, pour en extraire le jus, pour en sucer le suc. Du souffle des roseaux aux poumons des violons, je pompe l’oxygène encore en liberté. « 

J-M Lafreniere, 26 mai 2013

Jean-Marc Lafrenière

Je connais J.-M. Lafrenière depuis bientôt 14 ans. Quand je l’ai « rencontré », sur la toile, il vivait avec un loup, dont il avait la tendresse fèroce.  Juste pour vous donner une idée du personnage.

Ensemble, et séparés par toute une frontière, nous avons pendant quekques mois écrit, rit, pleuré, hurlé de joie et de colère, ricané, invectivé, écrit, inventé, murmuré, chanté, gueulé, jeté au hasard nos mots-émotions et partagé une amitié solide, que ni les années  ni les brouilles passagères n’ont entamée. Puis on est partis chacun de notre coté tout en restant chez nous. Nous continons d’écrire,  mais séparément ;  Jean-Marc Lafrenière plus que moi et avec infiniment plus de talent.

Je vais tous les jours ou presque sur son blog et parfois, je laisse une trace de mon passage. Il m’a fait la surprise ce soir de publier mon dernier commentaire, et c’est là.

Lire Jean-Marc Jafrenière, c’est sortir des sentiers battus et entrer de plain pied dans la poésie Québécoise,  et surtout, dans ce qu’elle a de meilleur.

Bonne lecture !

ECRIRE ENSEMBLE 4/ la ferme du bout de la terre / noir

La ferme du bout de la terre

__________________________

Damien est arrivé par le chemin de la côte, son sac sur le dos. Il a demandé l’hospitalité au vieux Pierre qui vit seul dans sa ferme. Peu bavard, celui-ci a montré la grange d’un signe de la tête. Damien a traversé la cour, poussé la lourde porte, et s’est dirigé vers le coin où Pierre stocke un peu de paille. Il a pensé qu’au moins cette nuit, il dormirait à l’abri de la pluie qu’il entend battre sur le toit. Au milieu de la nuit, il a été réveillé par l’orage et le bruit du tonnerre qui déchirait le silence. Mais c’est un long hurlement qui l’a poussé à se lever.

Un instant, Damien se demande s’il a rêvé. Maintenant, tout à fait réveillé, tous ses sens en alerte, il attend la suite.

Grondement de tonnerre, la foudre à nouveau. Le cœur battant la chamade, le souffle court, l’homme compte trois secondes entre les deux. Les chevaux hennissent et se cabrent dans leur box. Affolé, au bord de la panique, Damien essaie désespérément de se contrôler afin de rester opérationnel au cas où.

Dix, quinze secondes, l’orage s’éloigne, la pluie tambourine de plus en plus fort sur la toiture, des filets d’eau s’infiltrent par les interstices et sous les ballots de paille.

Occupé à déplacer sa couche et protéger son bagage, il perçoit soudain une odeur de brûlé et entend à nouveau ce cri de détresse. Il ouvre la porte de la grange et, OH NON PAS ÇA, PAS ENCORE !

Elle est là, belle comme la foudre, rutilante comme le feu dans ses yeux. Depuis le temps qu’elle le poursuit pour lui rappeler la malédiction. Chaque fois que la pluie bat aussi la chamade, il l’entend respirer, saccader l’air chaud, l’entourer de ses lèvres brûlantes. Elle lui parle encore et encore, lui rappelle la malédiction.
La malédiction fait partie de l’histoire de la famille depuis le temps où l’on brûlait les sorcières. Mais elles ne sont pas mortes pour rien, elles ont transmis leur savoir aux héritiers mâles qui vivaient clandestinement dans un coin oublié de forêt.

Damien porte ce sac depuis des siècles, jamais il n’a pu s’en débarrasser. Jamais, il n’a pu sans frémir d’épouvante approcher et aimer une femme et lui transmettre son terrible héritage.

Plus de cinq siècles. Vingt-deux générations séparent Damien de cette époque tragique. L’inquisition, les traques aux sorcières ou supposées telles. A l’occasion, lors des fouilles, la main soldatesque tendue par l’église confondait sorcellerie et herboristerie, démonologie et travail de sage-femme. Damien est le vingt-deuxième porteur du prénom. Il est le messager, à son tour. Celui des temps des grandes peurs qui ricochent toujours et encore sur le glacis du temps qui s’étire. Il sait, ce message est la cheville de la malédiction. Le premier prénom de sa lignée naquit d’une mère mourant en le mettant au monde. Ses derniers cris s’évanouirent sous les hurlements de douleurs de la sage-femme qui avait promis de l’assister. Un tribunal l’avait condamnée pour hérésie et sorcellerie. La foule criait dans un concert de larmes ou de rires insensés, mais tous criaient, excités comme des fous, acteurs mêmes du spectacle, dans l’écran des fumées et des odeurs des chairs calcinées.

La sage-femme hurla longtemps, brûlant vive sur le bûcher

Déjà deux fois, au cours de nuits sans sommeil, Damien s’est envolé vers des rêves fantastiques. Il a survolé une maison au toit rouge ; il se souvient de la couleur. Au réveil, pelotonné au coin de ce qui restait d’un feu de brindille, il s’est longtemps souvenu de ce rêve, le même : la maison au toit rouge, l’étable au toit de chaume, d’abord un sentiment de paix, de plénitude ; et puis, soudain, vrillant, le cri suivi de l’odeur, acre, insoutenable. C’est l’odeur qu’il fuit d’abord. Le cri, plus tard arrivera jusqu’à son cœur, vrillera sa mémoire, se confondra avec le hurlement du vent.

Car il a fuit, lâchement, dans la nuit, sans rien dire à personne. Il a marché le long des routes et des chemins, par les plaines et les montagnes. Il a traversé des forêts et des rivières, passé loin des maisons groupées autour des églises. Il a demandé asile aux fermes isolées, avec une prédilection pour celles aux toits rouges.

Il marche depuis longtemps, sans savoir ce qu’il cherche. Et ce soir, pour la troisième fois, l’odeur, le cri.

Un homme brusquement ouvre la porte de l’étable, une voix sonore  éclate dans l’ombre :

– Venez vite, aidez-moi !

Les brumes de son rêve éveillé se déchirent, ses hallucinations s’estompent, l’image de la femme aux cheveux roux ondule comme un mirage sur le sable surchauffé du désert. Damien prend conscience que c’est là, maintenant, dans la vraie vie que ça sent le brûlé ; et la panique dans la voix de l’homme lui provoque une décharge d’adrénaline.

– Ma maison est en feu, et ma fille est coincée au premier étage. S’il vous plait, aidez-moi !

Dans la grange où dormait Damien, une grande échelle est posée contre le mur. Il s’en saisit et crie à l’homme de l’aider à la porter. Ils courent vers la maison. L’odeur âcre du feu, cette odeur qui s’est insinuée jusque dans son rêve, brûle sa gorge et pique ses yeux. Ils se dirigent vers la maison au toit rouge. Derrière les portes-fenêtres du rez-de-chaussée, des flammes dansent dans le salon. Sur le côté, une jeune fille à la fenêtre, un chiffon attaché contre sa bouche et son nez, fait des gestes de pousse des cris panique.

Damien pose l’échelle contre la façade et crie à l’homme de tenir le bas de l’échelle. Il grimpe prestement, en évitant un ou deux barreaux cassés. Arrivé au niveau de la fenêtre il crie : « N’ayez pas peur ! Enjambez la fenêtre et mettez vos pieds sur l’échelle. Descendez doucement, je reste derrière vous, vous ne pouvez pas tomber. Allez-y ! ». Tout en la rassurant de la voix, il aperçoit du coin de l’œil la fumée épaisse et noire qui passe sous la porte fermée de la chambre. Il était temps ! Cette porte n’aurait pas résisté longtemps !

La fille finit par se laisser convaincre et ils dévalent tant bien que mal l’échelle, lui les mains crispées sur les montants pour retenir son propre poids et celui de la fille. Les voilà en bas. La fille tombe à genoux dans l’herbe en pleurant de peur et de soulagement. Elle enlève le chiffon qui cachait à moitié ses traits et lève les yeux vers lui.

Damien a un choc terrible à la vue de ce visage.

Elle ressemble à s’y méprendre à celle qu’il s’accuse d’avoir » assassinée » trente ans auparavant , lors d’un party d’ados.

C’était un soir où, son copain ayant la garde de sa jeune soeur en l’absence des parents, il était venu le rejoindre et fortement intoxiqués par des drogues hallucinogènes , ils avaient bêtement mis le feu aux ballots de foin entassés près de la maison où dormait la petite.

Le vent aidant, les flammes s’étaient très vite propagées aux bâtiments avoisinants.

Ils avaient malgré tout tenté de la sauver se brûlant même au deuxième degré, mais trop défoncés, ils durent renoncer et se résoudre à l’inévitable. Assailli de remords, incapable de refaire surface, depuis lors il fuit inexorablement dans l’espoir d’oublier. Est-ce que cette fois le sauvetage de cette jeune femme aura pour effet de rompre la malédiction ?

Elle s’appelle Eva. C’est en tous cas ce que Damien croit entendre comme un murmure. Mais il y a tant de bruits autour de lui qu’il n’en est pas tout à fait certain. Et soudain, il lui semble que seul demeure un silence assourdissant, sa vue se brouille, il a l’impression de flotter, il ne sait plus où se trouve la réalité.

*

Damien se réveille dans un endroit inconnu, une jeune fille femme est penchée sur lui. Bien vite, il reconnait un hôpital. La jeune femme se présente, elle est médecin. Il a été amené deux jours plus tôt par les pompiers, inconscient. Rien dans les examens qu’il a subis n’explique ces deux jours de coma.

Damien lui parle de la grange, de l’orage, de l’incendie. Mais elle est formelle : les pompiers l’ont trouvé au milieu d’un pré, appelés par le vieux Pierre au petit matin, étonné de trouver un inconnu qu’il ne parvenait pas à réveiller à cet endroit. Et cela fait des mois qu’aucun orage n’a éclaté dans la région. Damien lui décrit la ferme, c’est bien celle de Pierre mais il n’y a pas eu d’incendie dans les parages. Elle lui explique que l’on est souvent un peu déboussolé après un coma, qu’il faut que les pensées reprennent leurs places, que la mémoire des derniers moments va lui revenir doucement.

Alors qu’elle s’apprête à quitter la chambre, Damien dit qu’au cours de cette nuit tourmentée, il est venu chercher Eva. La jeune femme marque un temps d’arrêt, le regarde dans les yeux, semble s’y plonger toute entière tandis qu’un léger courant d’air fait onduler ses boucles rousses. Elle lui adresse un immense sourire : Eva, c’est elle ! son nom : oui, elle s’appelle Eva.

Bien des années en arrière, sa grand-mère lui a prédit qu’un jeune homme viendra un jour la chercher, leurs destins liés depuis des centaines d’années.

Eva devra être fière de descendre d’une lignée de sages-femmes qui n’ont jamais cessé de pratiquer leur art depuis vingt-deux générations malgré les embûches mais qu’elle-même devra choisir une autre voie pour que se réalise enfin la prophétie. Alors elle sauvera le jeune homme et rompra la malédiction.

______________________________

 Lancé le 24 avril et conclu le 13 mai 2013  par Ma’, avec les participations de Marie-Ange, Saravati, Jaleph, Lise, et Madame de K.

ECRIRE ENSEMBLE 5 / Résilience

ecritoire photo gisou 2

« Avec une petite barque elle atteint des océans . »  A. Ionatos

____________________________________________
Rescapée des boats people elle s’est juré de faire fortune en Amérique et d’y introduire les membres survivants de sa famille.Ses diplômes non reconnus, elle gère seule un dépanneur dans un quartier sordide, seize heures par jour, la semaine entière, week-end inclus.Toujours souriante et joviale, parlant à peine l’anglais, elle  commerce, tisse des liens et se fait respecter même des plus rébarbatifs.Elle vit seule, loge dans son arrière-boutique, petit réduit à peine meublé, peu chauffé, mal éclairé d’où elle sort fraiche et pimpante  chaque matin pour déverrouiller sa porte.Mais ce matin la porte est restée close. Les badauds s’agglutinent et risquent des hypothèses.

– Elle ne peut pas nous faire ça!

C’est Ted qui le premier a lancé ce reproche. Le même Ted qui, à peine deux mois auparavant, avait menacé (je cite) de foutre le feu à sa baraque.

– Il lui est peut-être arrivé quelque chose?

– Penses-tu! Elle a dû trouver mieux ailleurs!

– Un mec, peut-être?

La discussion devient générale et plus personne n’écoute personne. 

Puis au moment où Ted crie « Je vais la défoncer, moi, cette porte, et on verra bien ce qui s’est passé à l’intérieur! » un taxi arrive en trombe et freine pile devant eux, au risque d’écraser quelques orteils.

(Adrienne, 16 mai 2013)

Petit conciliabule à l’intérieur du véhicule, une main fine qui tend un billet, la même qui refuse la monnaie, une portière arrière qui bée et laisse se déposer sur le trottoir un charmant petit pied chaussé d’un haut talon bleu et démesuré. C’est Xinh, la gérante de l’épicerie, qui se dresse sur les pointes de ses souliers. Elle s’adresse au petit rassemblement de passants.

—« Me voici moins matinale cette fois-ci, c’est une première mais je vous promets que ce sera la dernière.  Je n’ouvrirai pas ce matin ni ceux qui suivront. Je pourrais revendre mon fonds de commerce mais je me suis habituée à vous rencontrer chaque jour. A votre façon vous m’avez accueillie, très simplement, en  poussant la porte de ma boutique. Désormais, je n’ai plus aucun souci d’argent, mais il serait dommage de nous quitter pour une raison aussi futile.  J’aimerais que l’un d’entre vous accepte de travailler pour moi. Ted, cela te tente-t -il « ?

Jal 17/05/2013

Voici notre Ted  pris au dépourvu, comme la fourmi de la fable, et bien que la bise ne soit pas encore venue ;

  » Mais on ne sait jamais avec cette météo merdique, pense-t-il, et que me veut-elle, Miss Dépanneur,  là, tout à coup ? Pourquoi ce sourire et cette proposition et est-ce que je saurais faire ce que doit ? « 

Il se met à penser vite, ce qui ne lui arrive pas souvent. Elle s’impatiente et les autres agglutinés aussi :

– Alors ?

– Heu, oui

C’est parti malgrè lui,  et la foule autour applaudit :  » Il accepte, il accepte, bravo, bravo Ted « 

Xinh souri largement, et lui tend la main :

– Bon, et bien, on aura 2 semaines de training et ensuite, tu voleras de tes propres ailes.

Puis, se tournant vers les autres toujours agglutinés et semble- t-il pour encore longtemps :

– J’ai une idée : rendez-vous tous ici même dans deux semaines, au moment des passations de pouvoirs, on fera une fête « 

Deux semaines après, Ted n’est pas bien certain d’avoir tout compris au fonctionnement de la caisse enregistreuse ni de bien savoir à quel moment il doit recommander chez les fournisseurs de quoi ré-approvisionner les rayons. Il aimerait bien demander un peu de temps supplémentaire à Xinh mais il n’ose pas. C’est qu’elle est impressionnante cette petite bonne femme !

Il pense qu’elle lui a tout de même joué un sacré tour en lui faisant cette proposition et qu’elle a dû bien savourer le moment !

Le jour convenu pour la fête est arrivé. Ted a installé des banderoles de papier dans la boutique et disposé une grande table le long d’un mur. Par petits groupes, les habitués arrivent. Ils discutent, se demandent si Ted sera capable de la même disponibilité que Xinh… Mais, surtout, chacun s’interroge sur la source de la bonne fortune de celle-ci. Les suppositions vont bien entendu bon train quand Xihn demande à prendre la parole de sa petite voix fluette.

 Elle leur parle de son enfance là-bas en Asie, de sa fuite sur un bateau de fortune, de ceux qu’elle a laissés derrière elle. Puis, elle leur parle d’eux, de sa vie reconstruite. Ils attendent qu’elle leur parle de son avenir mais soudain, elle se tait ! Un homme vient de passer le seuil. Il l’aperçoit et se dirige vers elle.

Ted est encore plus impressionné par l’inconnu :  l’homme qui vient de franchir le seuil du dépanneur.  Asiatique aussi, belle prestance, allure princière, assurance d’un caïd malgré son visage couvert de bandelettes maculées de sang séché par endroit.

 Les deux colosses l’accompagnant ont fait sortir tous les invités et encadrent la porte d’entrée, pendant que l’homme ayant rejoint Mme Xinh, l’enjoint à le guider vers l’arrière-boutique, en lui pressant le coude.

Ted, de son comptoir, tente discrètement d’épier la scène derrière le mince rideau de tulle. la conversation semble se dérouler cordialement : pas d’éclat de voix, quelques rires étouffés, tintements d’ustensiles et de porcelaine, un sursaut , une embrassade prolongée, des rires , des larmes de joie de part et d’autre : des ombres chinoises grandeur nature !

 L’homme remet un carnet et une épaisse enveloppe à Mme Xinh avant de la quitter, il n’a plus de pansements, de vilaines cicatrices bleutées lui strient le visage.  Il toise Ted de ses yeux de félin. Celui-ci est sur le point de défaillir quand Mme Xinh s’avance et le présente comme étant le remplaçant inespéré, l’homme parfait pour la circonstance, la discrétion et le dévouement assuré.

 L’asiatique balafré hoche la tête, empoigne la main du jeune homme, y dépose un billet de $1000.00 en la serrant très fort, puis quitte les lieux , suivi de ses petits copains,  en souriant malicieusement.

 Ted est de plus en plus perplexe, Mme Xinh si frêle, si douce, si charmante, qui semble pactiser et fricoter avec … ? Et cette manne qui lui tombe dessus ?

Les invités réintègrent les lieux, maugréant de s’être fait éconduire par des étrangers, se ravisant en aparté en constatant qu’ici, ces immigrés sont un peu chez eux. Malgré lui sur ses gardes, Ted  filtre les gens à l’entrée, le poing serré sur son billet plein de dollars, risquant par-dessus les épaules un coup d’œil vers les trois individus qui s’éloignent. Il  s’était imaginé les voir intégrer une grosse cylindrée, un 4×4 surdimensionné, de préférence noir, tout décoré de chrome. A pied, ils repartent à pied ! Mais qui sont-ils ? Il n’a rien compris à leur discussion asiate dans la boutique. Cela demanderait une petite explication  de sa patronne. Mais trop de monde pour l’instant.

Xinh souhaite la bienvenue aux clients en leur collant un papillon de soie fuchsia  sur l’épaule. Même Ted y a droit. Bon, pas grave tant que tout le monde en porte un, mais ce soir, dès la sortie, il s’en débarrasse. Aucune envie de se faire tourner en bourrique par les glandeurs de la cité.

Xinh prend la parole, formant encore maladroitement ses phrases. Cela fait comme un entrechoquement des pendeloques d’un lustre qu’on déménage, charmant:

—« Papillon, c’est gage de ma reconnaissance, le garder trois jours sur l’épaule pour découvrir liberté ».

Trois jours, pense Ted. Avec quoi vient-elle encore ? Je vais longer les murs. Et puis ma liberté, je la connais déjà.

—« Je parle de liberté pas visible », ajoute Xinh avec un petit air mutin.  Jal 25/05/2013

 Je n’aurais jamais dû accepter, se dit Ted en rasant les murs pour rentrer chez lui. Si maintenant en plus de me jeter dans les pattes de ses amis chinetoques, de me coller un papilon fuchsia sur l’épaule, elle lit mes pensées, je ne suis pas au bout de mes peines…

Quelque chose ne tourne pas rond, dans cette histoire, il en est persuadé. Mais quoi? Que faire? Comment s’en dépêtrer maintenant qu’il est engagé et qu’il a accepté l’argent de ce type?

En ouvrant la porte de chez lui, il entend la sonnerie du téléphone.

– Mister Ted? dit la voix nasillarde d’un homme qui n’est sûrement pas né du côté de Brooklyn.

– Oui… ( 15/27/2013 – Adrienne )

– Mister Ted, reprends l’inconnu, vous faire ce que je dis : ouvrir le magasin à minuit, éteindre lumières, et attendre. Nous venir  travailler chez elle.

– Vous venir travailler , répète Ted  hébété.

Il se reprends :

– Vous qui ?

– Nous amis Madame Xinh.

– Si vous amis Madame Xinh elle ouvrir la porte à vous, hurle Ted soudain déchainé : c’est quoi  cette histoire ? allez vous faire …

L’autre répond en exagérant la politesse et les courbettes :

– Madame Xinh pas là, Madame Xinh absente, nous travail urgent, besoin magasin ouvert, simple non ? Vous beaucoup dollars. Venir ?

 Ted comprends tout de suite qu’il n’y aura rien d’autre à en tirer. Il se tait. L’autre poursuit :

– Vous venir fenêtre : voir nous dans voiture jaune. Vous venir à minuit. Nous attendre. Si vous pas venir, nous couic.

 Ted toujours silencieux se dirige vers la fenêtre. ; sous un réverbèreun taxi jaune est en stationnement suffisamment éclairé pour qu’il puisse apercevoir quatre hommes assis à l’intérieur, .

 Couic ?

« Couic »… le mot tourne en boucle dans la tête de Ted. Il se demande si les amis de Madame Xinh sont à prendre au sérieux. Enfin, il ne se pose pas vraiment la question, il aimerait surtout y apporter une autre réponse que celle qui lui vient à l’esprit.

Minuit lui semble soudain si proche et si loin. Il est à peine 23 heures.  Il jette un œil par la fenêtre. Le taxi jaune n’a pas bougé du rond blafard de lumière qui s’échappe du réverbère.

Ted sait qu’il n’a pas le choix, qu’il doit y aller. Il regarde les secondes défiler sur le cadran de l’horloge, décompte les minutes, s’interroge pour savoir s’il doit partir de chez lui à minuit ou être à l’épicerie à minuit, incertain de ce qu’il a compris. Il se décide pour arriver là-bas à minuit.

Il attrape son blouson qui a connu des jours meilleurs et se met en route. Il s’attend à ce que le taxi le suive mais ce n’est pas le cas. Il entre par la porte de derrière et conformément aux ordres qu’il a reçu va se poster derrière le rideau baissé à côté de la porte d’entrée.

L’inconnu se présente à minuit pile, un sourire satisfait aux lèvres.

« Merci Monsieur Ted ! Restez près de porte, autres amis venir pour travail. Vous reconnaître eux » [ Ma’ ]

Se présentent alors à la porte, les deux colosses les bras encombrés d’outils, suivis par deux autres asiates poussant des diables chargés de caisses.

 Ignorant Ted, le groupe se dirige prestement vers l’antre de Mme Xinh et entreprend de démolir le mur mitoyen la séparant de l’autre propriété.

 Aussi efficaces que des termites s’amuse-t’il à penser malgré l’insolite de la situation. Ces hommes ont tôt fait d’y pratiquer une trouée majestueuse, permettant déjà d’entrevoir le fatras accumulé de l’autre côté.

 Ted s’étonne de s’être aperçu de rien. Ce bâtiment étant inhabité depuis plusieurs années, comment ces marchandises ont-elles pu arriver là à son insu ?

 Fourbu , la tête lourde de questionnement, il s’apprête à rentrer se reposer lorsqu’apparaissent dans la trouée des hommes et des femmes de type asiatique précédés de Mme Xinh et du « balafré ».

 _ Bonsoir Ted, toi aller dormir maintenant, longue journée tantôt !

 _Expliquez-moi S.V.P. pourquoi tous ces mystères ? Qui êtes-vous ? Qui sont ces gens ? C’est quoi ce bordel ? Qu’est-ce que je viens faire là-dedans ?

 Mme Xinh s’approche de Ted, lui tend un petit paquet de photos écornées et jaunies et lui explique d’une voix calme et posée, qu’elle est issue d’une famille très riche et très puissante. Qu’ils ont été massacrés, emprisonnés, chassés du pays par les vietcongs.

 Qu’il n’y a pas de mystère, qu’elle est venue en amérique pour s’enrichir et retrouver les quelques survivants de sa famille. Que ses diplômes n’étant pas reconnus, elle a opté pour l’import-export.  Que ces gens sont ses amis, sa famille, que certains aiment jouer les petits caïds mais qu’ils ne sont pas bien méchants.

 _ Juste mauvaise habitude !

 Elle ajoute que lui Ted et les gens du quartier sont aussi ses amis dans sa nouvelle vie. Que grâce à leur gentillesse elle a pu se reconstruire et envisager l’avenir. Elle termine en disant qu’elle va organiser une nouvelle fête dans quelques jours pour honorer et remercier les anciens et souligner la fête du Tèt *  et qu’elle va les inviter à nouveau.

 _ Maintenant bonne nuit Ted, aller te reposer ! ( Marie-Ange, 2 juin 2013 )

F I N
__________________
* Le Têt = nouvel an vietnamien, seul moment chômé de l’année. Célébrations qui durent 3 jours, orgie de fleurs, décorations, pétards pour éloigner les mauvais esprits.A lieu le jour de la nouvelle lune entre le 21 jan. et le 20 fév. C’est l’occasion de faire le grand ménage, de laver et nettoyer la maison , d’élever de petits autels à la mémoire des parents décédés et de repeindre leur tombeau. Les deux premiers jours sont réservés aux retrouvailles familiales ils honorent les anciens en priant et en leurs faisant des offrandes de choses qu’ils aimaient de leur vivant. ex. tabac, friandises, objets etc. Le troisième jour est ouvert aux amis et invités.  Le premier visiteur de l’année  apporte avec lui la chance ou la malchance, ils invitent donc quelqu’un qui a très bien réussi. Ces jours là tous les vietnamiens, peu importe leur appartenance religieuse, sont en déplacement vers le bastion familiale pour aller honorer les anciens et recevoir leur « bénédiction »

_________

Lancé le 14 mai par Marie-Ange, accompagnée par : Adrienne, Ma’, Jaleph,  Lise

Ecrire-Ensemble / Prochain auteur

D’apres la liste etablie en avril, c’est à MARIE-ANGE qu’échoie le dur labeur de lancer le prochain texte. A toi l’honneur, Madame  ! Tu as jusqu’à demain matin 6 h 22, heure américaine.

Tour de rôle pour les textes à plusieurs

Il est désormais affiché dans la colonne des widgets, à droite, avec les couleurs corredpondantes pour chaque auteur.

Les auteurs nouveaux désirant participer auront les numéros de rôle à la suite du sixième.

Bon dimanche et bonne écriture.

 

Ecrire Ensemble 4

Le texte lancé par Ma’  est en panne,  je pense que nous avons trop dérivé, cela arrive. Nous pourrions recommencer un troisième tour, mais je crois qu’il est préférable de laisser le texte au point mort et attendre le retour de Ma’ pour la conclusion.

Et en attendant, je jette un coup d’oeil sur le TOUR DE ROLE, et je vois que c’est  GISOU / MARIE-ANGE qui va lancer le cinquième jeu EE. A ton clavier, Madame de Québec, si tu n’es pas par monts et par vaux ??

Sinon, ce serait à SARAVATI, qui a disparu dans les clochettes du muguet de mai en compagnie de MADAME DE K.  Coucou, lea auteurs ?

 Bouh (pleurs)  l’Ecritoire en est encre sêche depuis que les beaux jours pointent un bout de soleil.

J de Mai 2 / Fiat Voluntas Tua, par Adrienne

Nous avions tout juste 22 ans, le diplôme en poche et un contrat de travail pour le premier septembre. Il ne nous manquait plus qu’une chose : la bagnole pour les déplacements.

Nous n’avions pas un sou vaillant, mais qu’à cela ne tienne : un beau-frère de l’Homme avait un copain qui avait un frère qui était carrossier. Spécialité : les voitures de seconde main. Il les retapait lui-même.

– Un vrai pro ! nous a assuré le frère du copain du beau-frère.

Et justement, ça tombait bien, il avait une occase en or – ou plutôt en vert d’eau – une petite Fiat qu’il était prêt à nous céder pour trois fois rien. Parce que c’était nous.

– Les pneus sont neufs ! nous dit-il en nous la montrant comme un trophée.

Elle ne payait pas de mine, avec son teint verdâtre et sans le moindre reste de brillance, mais  c’était la seule que nous puissions nous permettre.

– Tope-la ! On la prend !

Et nous l’avons ramenée chez nous. Bichonnée, lessivée, pomponnée, lustrée, frottée : ses  chromes rutilaient et sa couleur vaguement verte avait repris un peu de brillant.

Une fois toutes les formalités accomplies, nous avons pris la route dans l’allégresse. Pour son maiden trip, nous lui ferions avaler une centaine de kilomètres d’autoroute.

Entre Bruxelles et Louvain, l’Homme la pousse un peu et me regarde d’un air satisfait, conquérant : il n’y a pas à dire, ces petites Fiat, ça gaze drôlement bien !

Puis tout à coup son regard change et d’une voix altérée il me dit :

– Je n’ai plus de contrôle !

Nous avons juste pu nous laisser dériver vers une station-service qui par bonheur se trouvait au bon endroit.

Nous étions passés à travers le châssis.

___________

Adrienne

J de Mai 1/ Deux, je vaux, par Jaleph

8c354c6c63aba1e611988b5456a5777f

—Dis Anne, ne vois-tu rien venir ?

—Si, une deux chevaux.

—Oui, elle se dirige vers nous, dans le soleil qui poudroie.

—Et l’herbe qui verdoie.

—Espérons qu’elle ne nous passe pas sous le nez.

—Et à notre barbe.

—Bleue.

—Elle serait plutôt vert-de gris cette 2CV.

—Ou olive.

On poursuit notre conversation autour de la définition de cette indéfinissable couleur sortant des sables. La voiture s’est arrêtée au ras de nos tongs.

—Vert embrun, année 1961. Modèle Sahara, vendu en Suisse. Le Sahara en Suisse, qu’ont-ils dans la tête, ces gens du marketing ?

Leur 2CV a en effet un petit côté aventure, avec ses garde-boues arrière découpés et surtout la deuxième roue de rechange posée sur le capot avant. C’est le passager qui nous a interpellé, coude à la portière à travers la fenêtre rabattue vers le haut comme un bord de chapeau, sourire démesuré. J’y réponds en me penchant vers lui. Le chauffeur arbore le même sourire, le même visage, le coude calé de même à sa portière. Ils sont semblables et symétriques.

—Oui, nous sommes quelque peu jumeaux, sans être frères.

Nous pouvons monter à bord. Pas de siège arrière. Le chauffeur l’a laissé en Suisse, pour faire de la place, pour ramener des souvenirs. Ils en sont heureusement au début de leur voyage exotique. Marrakech sera pour dans une semaine. On se case comme on peut, les fesses sur la tôle, le dos appuyé sur les sacs à dos, les yeux à la frontière du visible, des collines ocres qui défilent, un arbrisseau, un humain sur son âne et surtout, ou que se dirige le regard vers le haut, le ciel très pâle, celui de toutes les canicules. La capote a été roulée, les cheveux volent en tous sens, nous arrivons en vue d’un marché, crient-ils pour couvrir le vent et les trépidations du petit « flat-twin »de la Citroën. Des camions nous croisent ou nous dépassent. On n’atteint pas le 50km/h, louvoyant entre les nids de poule. Mais nos hôtes roulants n’ont pas l’air pressés. La poussière blonde soulevée par les roues des camions nous envahit. Il faut faire halte au marché, le passager propose une cagnotte. Acheter quelques fruits, quelques pains tout plats, boire trois thés menthe, manger debout, suants au soleil.

Ils ont quitté la Suisse depuis plusieurs semaines ou plusieurs mois, ils n’ont pas d’agenda. Ils font des petits boulots pour avancer, manger et fourguer de l’essence dans « Gertrude », comme ils l’appellent. Ils sont sosies dans le physique et dans l’esprit.

Nous nous sommes quittés à Essaouira. Les deux gars voulaient traverser la vallée du Dadès et les gorges du Todra. De ce temps-là, les routes qui les joignaient n’étaient pas asphaltées. Nous en plus, leur deuche aurait été trop chargée.

Nos routes se sont croisées trois fois encore. Deux fois au Maroc et une fois en France

C’était en 1971, ce n’était pas notre bagnole. J’aurais aimé qu’elle m’adopte.