Jeu d’Octobre – 8 / 1621 – 1945, de Leyden Street à la colline de Soye
Je suis la plus vieille rue de ce qu’ils appellent aujourd’hui les Etats-Unis d’Amérique.
Bientôt, dans même pas dix ans, j’entrerai dans mon cinquième centenaire (1) , et il y aura de grandes fêtes. En attendant, je m’ennuie un peu, je somnole : heureusement, il y a l’internet, je navigue de blogs en blogs, je me tiens au courant : être quatre fois centenaire n’est pas une raison raisonnable pour devenir sénile. C’est ainsi que j’ai lu avec tout l’intérêt qu’il mérite l’article de Jaleph sur la colline de Soye et j’ai été touchée en plein cœur : c’est le mot « cabanes » qui m’a émue, car c’est ainsi que tout a commencé pour moi aussi :
Quand je suis née, quand le premier coup de pioche a dessiné mon tracé, mon pays n’avait pas de nom. Les nouveaux arrivants, ceux qui avaient des mousquets, l’appelaient The Colony. Il faudra plusieurs centaines d’années pour lui donner un autre nom, pour ajouter des étoiles à son drapeau, et des états à sa fédération. Mais lorsque le premier européen a posé son pied en bas de ma colline, lorsque le groupe qui le suivait a approuvé le choix de cet emplacement et pas un autre pour édifier la première cabane de la première rue du premier village américain, personne ne pouvait prévoir jusqu’où irait ma voie. Il faut faire attention avec les rues : on trace leur parcours, on sait où elles commencent, on ne sait pas où elles peuvent vous conduire. Aujourd’hui je sillonne le continent entier et ils m’ont même propulsée vers la Lune, un jour de grande folie. Ils étaient les premiers expats, bientôt suivis par des millions d’autres : ça aussi, ils ne le savaient pas.
Ignorance : lorsqu’ils sont arrivés sur mon rivage, ils ne savaient pas non plus que la terre qu’ils foulaient appartenait à la tribu des Indiens Wampanoag (2). Le village Wampanoag s’est installé à cinq cent mètres environ de ma rue, et les deux groupes d’humains ont appris à vivre ensemble en bonne harmonie pendant toutes les années où leurs deux chefs ont instauré la paix et l’entraide dans leurs rangs, chacun respectant la culture de l’autre. Plus tard, les jeunes chefs aux dents longues ont remplacé les anciens sages, et les conflits n’ont pas tardé.
Je te parle là de la fin du 17e siècle : les maisons avaient remplacé les cabanes, une école avait été construite, Plymouth avait perdu sa prérogative de première ville du nouveau monde, et l’histoire commençait à se tourner vers Boston et New-York
Et moi, j’ai commencé à m’endormir, oubliée de tous.
Comme la colline de Soye, ma sœur en survivance.
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(1) Le 20 décembre 2020, à Plymouth, Massachusetts.
(2) Les Wampanoag, ou Pawkunnakuts, font partie aujourd’hui de deux tribus distinctes : les Mashpee Wampanoag, et les Wampanoag Aquinnah, reconnus par le Commonwealth du Massachusetts.
Les Chefs des Wampanoag ont commencé de réorganiser leur gouvernement à la fin du XX siècle. Depuis 1993, les tribus sont intéressées dans un projet de revitalisation du langage initial. Les descendants des Wampanoags du 17e siècle demeurent en grande majorité dans l’est du Massachusetts, où ils continuent de vivre de la culture ancestrale. La plupart d’entre eux ont fusionné par mariage avec les nouveaux groupes culturels arrivant en terre américaine et ils ont adopté les changements économiques et culturels nécessaires à une société élargie.
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lmg, 10/10/2013