L’avion survole Boston, il penche et tourne, la jeune femme ferme les yeux, les rouvre très vite, évite de regarder par le hublot. Elle est assise à l’extrême bord du siège. Derrière elle il y a l’enfant, le tout petit, à peine 6 mois, dans son panier, et qui dort comme un ange, sans soucis des trous d’air et autres turbulences. La jeune femme crispe ses mains sur les accoudoirs, elle a mis la ceinture de sécurité, sans serrer. Elle laisse la place au panier souple, derrière elle. Son compagnon lui demande a voix basse si ça va et elle fait oui avec la tête, je vais être malade si je parle. Elle fait un sourire à bouche fermée, une autre turbulence, l’hôtesse vient et demande si tout va bien, ce n’est rien, madame, juste un gros orage sur Boston, nous ne pouvons pas nous poser, nous sommes un peu en avance, nous allons vous faire voir la ville, il n’y a aucun danger, vous pouvez regarder par le hublot, nous sommes en basse altitude.
Le bébé continue de dormir à poings fermés, avec ses cheveux roux , son teint de lait, ses traits menus. La jeune femme se détend un peu, elle a dit que je pouvais regarder par le hublot et bien, je vais regarder par le hublot et voila tout. Elle se penche un peu, précipitée vers la petite fenêtre malgré elle par une autre turbulence ou bien est-ce l’avion qui se penche ? Le ciel est bleu marine, en bas une énorme plaine d’un bleu encore plus sombre, noir d’encre. « La mer » dit son compagnon qui ne semble éprouver aucune gène. » L’océan, rectifie-t-il, se souvenant que pour elle, il n’y a qu’une mer, celle de son enfance méridionale.
L’hôtesse dit quelques mots suaves en français et en anglais. Il va falloir que je m’habitue à entendre ce langage pense la jeune femme. Son compagnon fait glisser le panier du bébé derrière lui, » Assieds toi confortablement et essaie de relaxer, nous allons atterrir dans cinq minutes … » Elle ferme les yeux. On descend, elle entend – croit entendre ? – les réacteurs, elle ouvre un œil, regarde avec stupéfaction l’énorme plaine noire monter vers elle, referme les yeux précipitamment, appelle à l’aide tous les mouvements, toutes les méthodes de l’accouchement sans douleur, il y a six mois : respirez, bloquez, soufflez doucement, haletez. Relaxez vous totalement..
Ca marche. La nausée disparaît, les battements du cœur se calment. Elle a sa main dans celle de son compagnon, il bavarde avec l’hôtesse, c’est fini. Nous sommes arrivés
Dans quelques minutes il y aura la cohue, les bagages, l’heure aux services de l’immigration, les papiers à montrer, le bébé, réveillé qui sourit et tends les bras à chacun, l’officier de l’immigration qui demande si le voyage a été bon, si elle compte rester longtemps, depuis quand elle est mariée et le compagnon qui réponds pour elle, montre des papiers … Dormir, je ne veux que dormir..
En sortant de l’aéroport, je marche sur un trottoir dans l’indifférence générale, stupéfaite :ils ne savent pas, tous ces gens autour de moi, que ce sont mes premiers pas en terra americana, mon premier pas sur la lune, ma découverte qui va me prendre les trente prochaines années, mes stars and stripes vrillés au cœur jusqu’à mon dernier souffle
Mon arrivée à Boston, dans le plus bel orage qui m’est été donné d’admirer, de haut.
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lmg / 3 aout2014