Texte écrit à la suite d’un atelier d’écriture, animé par Anny Carrère, Talents, ayant pour thème L’objet
La guerre des jupes n’aura pas lieu
Mon arrière grand-mère m’a souvent raconté que dans son lycée public, les filles n’avaient pas le droit de porter des pantalons. Seule l’une d’entre elles, atteinte par la polio, avait obtenu l’ autorisation écrite, d’en porter un .
Cela se passait au vingtième siècle, dans les années 60 !
Dans une boutique, à la recherche d’un pantalon, je fouille du regard, je tâte de la main, j’inspecte les détails
De toutes les couleurs, formes, tailles, tissus, ils sont là, alignés, habillant un mannequin, disposés sur divers présentoirs…bof, rien ne m’attire.
A force de fouiner, je suis enfin séduite. C’est celui-là qu’il me faut.
Ravie de ma découverte, je me précipite dans une cabine d’essayage.
Mais ce pantalon n’a qu’une jambe. « Ouf ! » pensais-je, libérée et soulagée, quittant la cabine.
C’est alors que j’entends : « S’il vous plaît, ne m’abandonnez pas, regardez-moi bien, je ne suis pas un pantalon. Je suis LA JUPE. »
– La jupe ? C’est quoi ? Jamais entendu parler !
– Emportez-moi, et vous saurez.
La caissière me dit : « Vous aussi, vous avez craqué »
– Oui, mais c’est quoi La jupe ?
– Allez à la bibliothèque, et là on saura vous renseigner.
– Bonjour, heu, je cherche des renseignements sur çà, dis-je à la bibliothécaire, tout en sortant discrètement l’objet de la poche.
– Je suis désolée, mais la spécialiste est en congé, aujourd’hui. Revenez demain.
Rentrée chez moi, j’observe l’objet sur toutes ses coutures. Beau tissu, couleur délicate, finitions soignées, mais une seule jambe. Serait-ce une erreur de fabrication ? J’y suis : c’est pour les unijambistes !C e serait bien normal de prévoir ce genre de vêtement pour les handicapés. On fait si peu pour eux. Ils ne sont même ^pas représentés dans les défilés de mode. Oui, mais, pourquoi nommer cela la jupe. La jupe ou ajupe ? Pourquoi ne pas l’appeler unipant, ou pantuni ? Et si je l’essayais ?
Je passe les jambes l’une après l’autre dans l’unique ouverture. Cela me donne une allure curieuse, me rappelle vaguement quelque chose…je fais quelques pas. Le frottement de la peau nue de mes jambes l’une contre l’autre est inhabituel.
Le lendemain, je décide de mettre la jupe ou l’ajupe.
Je surprends quelques regards moqueurs, des gens évitent de me regarder, certains s’écartent, ou se retournent sur moi.
Mais nous arrivons sans problème à la bibliothèque.
Une personne accueillante se dirige vers moi : « Suivez-moi, je vous attendais. »
Je la suis, sous les regards curieux et interrogateurs de quelques lecteurs.
Nous quittons la salle de lecture, pour pénétrer dans une salle où règne une légère odeur de moisi, mêlée à des parfums d’encre et de vieux papiers.
La bibliothécaire ouvre un placard, occupé par un seul livre volumineux.
– Nous sommes arrivées. Je vous laisse. Très jolie, votre jupe.
J’ai bien entendu ; elle a dit « jupe ». Cet objet est une jupe, la jupe, Ma jupe.
J’ai bien du mal à ouvrir le livre.
Il a été malmené, des pages entières arrachées, d’autres gribouillées ou en lambeaux.
Malgré son état désastreux, je découvre des jupes ; il n’y a que çà, partout.
Des jupes cloches, crayons, portefeuilles, enroulées, droites, plissées, mini, étroites, à godets, soleils, parapluies, à volants, tailles basses, à empiècements, boutonnées devant, dans le dos …et toutes portées par des femmes.
Je suis une de ces femmes ; là près d’un arbre, ici assise sur un banc, sur la plage, devant une statue…c’est moi, c’est elle, ma voisine, les femmes de la rue, la caissière.
Je ressors, étourdie d’une telle découverte.
– Alors, qu’en pensez-vous ? demande la bibliothécaire, d’un ton malicieux.
– C’est…, c’est incroyable ? Tout cela a-t-il vraiment existé ?
– Vous n’êtes pas sans avoir remarqué l’état du livre. Nous avons dû le retirer de la consultation publique.
– Mais qui a fait cela ?
– Oh, peu importe. Le jour du saccage, nous avons découvert ceci.
D’un tiroir, elle sortit ceci :
LOI du 26 BRUMAIRE AN IX de la REPUBLIQUE
dispose que toute femme désirant s’habiller en homme
doit se présenter à la Préfecture de police pour en obtenir
l’autorisation, et celle-ci ne peut être donnée qu’au vu
d’un certificat d’un officier de santé.
– Mais qu’est-ce que cela veut dire ?
– Que des générations de femmes ont été, et sont obligées de s’habiller en homme, en toute illégalité.
– Comment expliquez-vous cela ?
– Lorsque j’ai fait part de ma découverte à ma cousine, celle-ci m’a raconté ce qu’elle savait de son arrière grand-mère. Cette personne, ainsi que de nombreuses autres jeunes filles étaient insultées, harcelées parce qu’elles portaient des jupes. Elles se mirent donc à porter des tenues d’hommes. Quelques unes tentèrent de résister, arguant de leur droit à la liberté d’exister, en tant que femmes.
– Mais pourquoi tant d’intolérance ?
– Oh, simplement, par ignorances et stupidités. Donc, de plus en plus de femmes portant le pantalon, les grands couturiers s’adaptèrent et créèrent cette mode de la rue. La jupe fut oubliée.
– Quel dommage ! N’est-ce pas que c’est joli ?
– Vous avez raison. Avec un groupe d’amies, nous nous fabriquons des jupes. Venez nous retrouver.
Et c’est ainsi, qu’un jour nous avons créé un atelier de mode, présenté nos modèles, qui eurent un succès mondial.
Et devinez comment s’appelle notre atelier ?
PANTALONNADE and CO
Quand aux femmes « hors la loi », rassurez-vous : deux circulaires de 1892 et 1909 autorisent le port féminin du pantalon, à vélo, puis à cheval.
25 novembre 2007
Jacou
Question écrite n° 00692 de M. Alain Houpert (Côte-d’Or – UMP)
publiée dans le JO Sénat du 12/07/2012 – page 1534
M. Alain Houpert attire l’attention de Mme la ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement, sur les dispositions, toujours en vigueur, de la loi du 17 novembre 1800 interdisant aux femmes de porter le pantalon. En effet, cette loi – la loi du 26 brumaire an IX – précise que « Toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la Préfecture de police pour en obtenir l’autorisation ». Cette interdiction a été partiellement levée par deux circulaires de 1892 et 1909 autorisant le port féminin du pantalon « si la femme tient par la main un guidon de bicyclette ou les rênes d’un cheval ». Si elles ne sont plus appliquées aujourd’hui, leur portée symbolique peut heurter nos sensibilités modernes, c’est pourquoi il lui demande si elle envisage de les abroger.
Réponse du Ministère des droits des femmes
publiée dans le JO Sénat du 31/01/2013 – page 339
La loi du 7 novembre 1800 évoquée dans la question est l’ordonnance du préfet de police Dubois n° 22 du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800), intitulée « Ordonnance concernant le travestissement des femmes ». Pour mémoire, cette ordonnance visait avant tout à limiter l’accès des femmes à certaines fonctions ou métiers en les empêchant de se parer à l’image des hommes. Cette ordonnance est incompatible avec les principes d’égalité entre les femmes et les hommes qui sont inscrits dans la Constitution et les engagements européens de la France, notamment le Préambule de la Constitution de 1946, l’article 1er de la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme. De cette incompatibilité découle l’abrogation implicite de l’ordonnance du 7 novembre qui est donc dépourvue de tout effet juridique et ne constitue qu’une pièce d’archives conservée comme telle par la Préfecture de police de Paris.