Écrire en 2015
Le sujet en ce premier jour de la nouvelle année sur Écritoire ne peut être que l’Écriture. Tout autre serait pire que déplacé : indécent.
Parce que ÉCRIRE reste le centre de la vie de vous tous qui venez poser ici vos mots et vos pensées. Écrire, un geste – appelez-le aussi occupation, ou passion – consistant à taper sur un clavier pour relier ou non des signes entre eux. Écrire, ce n’est que cela, finalement. Écrire, c’est tout cela.
Lire et écrire, les deux premiers enseignement reçus par chaque petits humain dés ses jeunes années. Demandons à celui-ci ou celle-là quand il ou elle a appris à lire et à écrire. La plupart du temps, ils n’en savent plus rien ; ils ont oublié ; il leur semble que lecture et écriture font partie d’eux-mêmes depuis le commencement de leur vie, comme respir et langage. Comme battements sourds du cœur, comme vie des artères. Mots traducteurs, conducteurs de la pensée. Laquelle se meut par ondes venues de quel épicentre, nous n’en avons aucune idée et vivons fort bien toute notre vie avec cette ignorance.
Des que nous avons compris que nous pouvons, avec notre main tenant le crayon, faire jaillir a la vue des autres ce que nous ressentons ( le premier message d’amour sur la carte de la Fête des Mères : « Maman, je t’aime «) ou, plus tard, sur le tableau de la cuisine ( « Jean, tu as du rôti froid et de la soupe dans le bol bleu dans le réfrigérateur « ) L‘essentiel étant le déversement de nos émotions ou de nos besoins sous forme de signes, lettres assemblées en mots ; mots accrochés en phrases ; phrases liées en gerbes, en paragraphes ; pages retenues en chapitres.
Lecture, nos mains tournent les feuilles, ouvrent ou ferment le livre, glissent sur l’écran. Nous allons cueillir d’autres émotions, d’autres besoins qui furent écrits par d’autres ; lectures, la quête incertaine, la chasse allègre, la recherche d’un ailleurs, a travers toujours les mêmes signes, les mêmes émotions.
Car ne nous y trompons pas : nous ne recherchons rien d’autre, chez l’Autre, que notre propre reflet. Et pour le trouver, nous n’avons qu’un seul miroir : les mots. Il arrive, j’en ai fait l’expérience, que nous décidions en toute connaissance de cause d’aller vers l’Autre sans l’aide des mots. Nous en sortons toujours perdants, avec le sentiment pénible d’un temps précieux, perdu. C’est que par delà le même mot, la résonance peut être devenue différente : il suffit parfois, dans la relation uniquement orale, d’accents autres, de construction de phrases opposées, de sens contraires : telle amie à qui je lançais, admirative, qu’elle était précieuse et qui me rétorquait, outragée, qu’elle était pourtant très frugale.
Ou mes monologues avec ma grand-mère enclose hermétiquement dans sa surdité. Elle avait, dans sa poche, un petit carnet dans lequel j’écrivais mes questions : nous limitions ainsi nos relations à des mots simples, des interrogations directes, des recettes de cuisine ou de vie : « comment as-tu fait pour survivre après la mort de Papé ? » écrivais-je. Elle me répondait oralement – hélas. Aurions-nous eu l’internet, elle et moi, en ce temps là, j’aurais pu garder ses réponses, aujourd’hui envolées, disparues.
J’ai retrouvé un de ces carnets, bourré de questions, de mon écriture enfantine ; il est question de ce que mange le chat tigré, de salade de poireaux sauvages, et de mes conflits scolaires. Rien de transcendant, mais qui faisait alors l’essentiel de ma vie. L’essentiel de la sienne aussi, car le lien qui nous unissait était fort. Il m’en reste des mots, un petit assemblage de papier, une couverture cartonnée souple dont le rose est devenu gris par endroit, d’avoir bourlingué longtemps de poche en tiroir, et de tiroir en boites.
Depuis le temps des petits carnets de ma grand mère, j’ai continué d’écrire. Toujours. Beaucoup. Partout. Tout le temps. Avec des passages plus ou moins intenses, plus ou moins forts, plus ou moins écervelés, égoïstes, fanfarons, tristes, troubles, larmoyants, orgueilleux, mensongers, fidèles, sincères, lucides, coléreux, passionnés, amoureux. Moi, quoi.
Comme tout le monde. Car tout le monde écrit, ne nous y trompons pas. Tout le monde, avec une forte inclinaison pour le « monde français », oui tout le monde écrit, plus ou moins bien, avec plus ou moins de talent, mais là n’est pas la question. La question c’est écrire. Écrire, aujourd’hui sur Facebook, hier sur un blog, demain sur ce qu’ils nous proposeront, vers lequel nous nous précipiterons tous, en espérant trouver le Graal : l’endroit idéal ou écrire redeviendrait, plus que la vie elle-,même, un art de vivre : celui qui consiste à etre ou redevenir soi-meme.
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lmg , 1er janvier 2015